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- Libération
- Didier Arnaud
ARNAUD Didier
Libération – rubrique Vous
À Paris, des riverains du Xe empêchent un centre de soins de fonctionner.
Deux sections de CRS, des opposants qui battent le pavé, des banderoles tendues de part et d’autre de la rue avec ces inscriptions : «Non à la boutique, Non à la drogue» ou encore « Oui aux bus mobiles ». Le centre d’accueil pour toxicomanes officiellement ouvert hier matin rue Beaurepaire, dans le Xe arrondissement de Paris, n’est pas près de fonctionner. Son implantation divise la population. Tags divers, jets d’encre de Chine et de bouteilles. Avant même d’exercer, ses responsables ont déjà essuyé menaces de morts, insultes et dégradations diverses. Sevrage. Jamais l’ouverture d’une «boutique» il en existe trois à ce jour à Paris n’avait suscité un tel rejet. Cette structure, qui entre dans le programme national de réduction des risques (prévention, soins et réinsertion ), permettra aux toxicomanes d’échanger des seringues, de prendre une douche, de laver leurs vêtements ou de consulter des médecins. Un préalable souvent nécessaire au sevrage.
Pour convaincre, les responsables de l’association expliquent inlassablement que la politique de réduction des risques a déjà donné des résultats, notamment pour freiner la transmission du sida, et la socialisation des toxicomanes. Las! L’association de riverains République-canal Saint-Martin (200 membres) ne l’entend pas de cette oreille. Certes, elle «ne s’associe pas aux violences contre la boutique». Mais elle se plaint de l’absence de concertation qui a précédé le projet. Elle craint la population de toxicomanes et la fixation des dealers autour des écoles voisines. «Vous êtes pour l’ouverture, mais vous n’avez jamais été attaqué par un drogué», lance une dame. «On donne de nous une image de petits-bourgeois racistes, mais nous n’avons pas besoin d’institutions prétextes qui dégoulinent de bon sentiments et qui ne règlent rien», assène un voisin. Ces riverains comptent bientôt porter plainte pour trouble de voisinage et incitation à l’utilisation de drogue. Ils s’avouent prêts à battre le pavé sans interruption. «Tant qu’on sera là, les drogués ne se pointeront pas», affirme une dame. «Tous les soirs, lorsqu’on s’endort, on rêve que la boutique ne s’ouvrira pas», dit le président de l’association, Pascal Sertier.
« Ilot privilégié ». Personne n’avait imaginé l’ampleur de l’opposition. Pourtant, depuis l’annonce de l’installation, réunions houleuses à la mairie d’arrondissement, manifestations et pétitions (un millier de riverains contre) se sont succédé. «Ils se vivent comme dans un îlot privilégié, ils ont le sentiment de vivre dans un état de sécurité acquis à la force de leur poignet», dit Malika Tagounit, responsable du centre. Elle insiste sur la collaboration nécessaire avec la police, « pour sécuriser les riverains ». Le quartier ? Un triangle plutôt «favorisé» du Xe sur le plan immobilier. Peu le disent, mais beaucoup craignent une baisse de la valeur des appartements. «On espère qu’une fois l’ouverture faite, les gens vont s’apercevoir que ce n’est pas l’apocalypse», dit Malika Tagounit.
Le 30 mars, l’association Côté quartier s’est créé. Pour équilibrer la balance. «Quand on a vu une telle violence contre l’ouverture, on a été un peu choqués», dit Laurence de Villeneuve, une des membres de cette association de «pour» qui compte 84 adhérents. «Je pourrais dire: c’est mieux à un kilomètre de chez moi, mais je pense que nous sommes très en retard en France. Ce centre est nécessaire. Il doit devenir un exemple.» Les «contre» devraient être fixés le 29 avril. Ils ont demandé une suspension de l’ouverture au tribunal de Paris.