Usage de drogues et femmes, le déni français – Women and use of drugs, the French denial

Éditorial,
n° 1 – janvier-février-mars 2007

 

Développer les services destinés aux femmes usagères de drogues est, en 2007, une des priorités de la communauté européenne. Elle découle du rapport annuel 2006 de l’Observatoire européen des drogues qui constate l’insuffisance de l’offre de soins pour les femmes en Europe. Voilà une priorité dont on voit mal comment les Français pourront se saisir. Rien n’est prévu dans le Plan Addictologie de 2007 et pourtant la France fait partie des pays européens les plus démunis sur ce point. En Île-de-France, les initiatives se comptent sur les doigts d’une main et l’offre de services, consultation ou accueil, est le plus souvent limitée à quelques heures par semaine. Il n’y a même pas à Paris d’hébergement pour les femmes usagères de drogues alors que c’est le besoin le plus manifeste. Les rares initiatives actuelles ont été mises en place sous la menace du sida. Ainsi, en 1987, le centre Pierre-Nicole avait ouvert une unité mères-enfants de 4 lits, une expérience dont on pouvait espérer qu’elle serait développée. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Et pourtant, les femmes usagères de drogues ont indirectement joué un rôle-clé dans la prise de conscience qui a abouti au Plan Addictologie actuel. Sans le test sida qui a rendu brusquement visibles des jeunes usagères de drogues dans les maternités, l’urgence de santé serait restée largement ignorée. Sans elles, il n’y aurait pas eu de commission présidée par le Pr Roger Henrion, alors chef du service gynécologie obstétrique, à la maternité Port-Royal.

Sous la menace du sida, quelques praticiens se sont mobilisés alors pour le suivi des femmes enceintes ou mères tandis que quelques actions de prévention ont été menées en direction des prostituées. Hélas, cette première sensibilisation n’a débouché sur aucune offre de ser- vice adaptée à la spécificité des besoins. Pour les femmes qui se prostituent, ceux-ci sont pourtant criants. La dépendance nécessite des soins dont l’accès reste plus inaccessible que jamais. Quant aux jeunes usagères de drogues, qui avaient été détectées dans les maternités, elles sont retombées dans l’anonymat avec le recul de la contamination par le VIH ! On a pourtant toutes les raisons de penser que nombre d’entre elles est affecté par les virus des hépatites, mais le programme national consacré à la prise en charge de ces maladies les ignore tout autant que le Plan Addictologie.

Aujourd’hui, les consommations de drogues s’initient le plus souvent dans des contextes festifs, en boîtes de nuit, dans le cadre du mouvement “techno” ou encore dans des réseaux de jeunes de classes moyennes où les femmes sont à peu près aussi nombreuses que les hommes. Elles ne sont minoritaires que dans les contextes les plus violents, dans la rue ou dans les squats, où seules les plus aguerries parviennent à survivre. Leur pourcentage est alors évalué à environ un tiers. C’est également le pourcentage des femmes reçues dans les services de soins, et cela bien qu’ils soient loin de ne recevoir que les plus marginalisées. Il y a donc clairement un déficit de l’offre de soins, comme de réduction des risques en direction des femmes. C’est ce que démontre la comparaison de la baisse de la mortalité selon les sexes : de 30 % pour les hommes entre 2000 et 2003 et seulement de 15 % pour les femmes. Il s’agit là d’une moyenne européenne. En France, personne n’a soulevé cette question, l’indifférence des chercheurs étant à la mesure de celle des praticiens ou, plus exactement, des chercheuses et des praticiennes. Car l’indifférence des hommes n’est pas seule en cause.

En Europe du Nord, les initiatives destinées aux femmes sont le plus souvent dues à la mobilisation de femmes. En France, l’indifférence est générale. Et pourtant, la prise de conscience des inégalités progresse. Nous savons désormais qu’il ne suffit pas d’invoquer des principes généraux qui se réclament de la République pour que le droit à la santé soit garanti pour tous. Nous prenons peu à peu conscience des violences que les femmes subissent.

Nous savons aussi que les femmes sont plus affectées par la précarisation, que leurs ressources sont moindres alors qu’elles ont plus souvent la charge des enfants. C’est d’ailleurs cette responsabilité qui les conduit à se tenir à distance de services sanitaires et sociaux dont elles peuvent craindre le jugement.

Les usagères de drogues préfèrent passer inaperçues. Pour autant, il suffit que des services leur soient offerts, qu’ils tiennent compte de leurs contraintes propres, telles que la garde des enfants justement, pour qu’elles s’en emparent. Encore faut-il qu’ils soient “friendly”, autrement dit fondés sur une alliance thérapeutique, nécessaire au développement de la connaissance clinique qui fait défaut aujourd’hui. Car les femmes usagères de drogues restent encore “le continent noir”. Si le suivi des femmes enceintes a donné lieu à quelques études, il n’est pas de praticien français qui, à l’heure actuelle, soit en mesure de décrire ce qui fait la spécificité de la consommation de drogues des femmes. Ou de leur prise en charge.

En France, le déni des droits des femmes a longtemps invoqué le principe républicain de l’égalité. Nous avons appris à être plus réalistes et plus modestes. Nous savons désormais qu’au-delà des grands principes, c’est à la réalité de l’exclusion des soins qu’il nous faut nous affronter. C’est dans la pratique que la reconnaissance des droits des femmes doit se faire. Nous connaissons les services qui peuvent leur être utiles. Reste à les développer. Car, s’il est une chose que nous avons apprise au cours de ces dernières années, c’est que le déni des spécificités ne fait que masquer des inégalités auxquelles nous n’avons pas voulu nous affronter.

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