Trente ans après «l’Appel du 18 joint», la France continue à pénaliser les fumeurs de joints et amplifie la répression.
En 1976, Libé publiait «l’Appel du 18 joint». Qui oserait aujourd’hui pareille irrévérence ? À peine osons-nous rappeler que le cannabis, ça fait rigoler. Nous avons oublié le contexte de la loi de 1970. « Un fléau menace la République », avait annoncé gravement le législateur. Les fumeurs de joints, ces babas cool comme on les nomme par dérision, font pâle figure comme ennemis de la République. Quant à la santé publique, comment la prendre au sérieux alors que les consommateurs d’alcool ou de tabac n’ont pas les mêmes sanctions ? C’est la liberté de choisir son mode de vie qui est condamnée. Ni la prison, ni le traitement médical ne sont justifiés simplement pour l’usage.
Trente ans plus tard, c’est la conclusion de toutes les expertises officielles, de 1978 à 2001, et pourtant l’argument est plus inaudible que jamais. Écoutons ce que nous nous disons les uns aux autres :
Le cannabis n’est pas anodin, il rend dépendant et peut révéler des troubles psychiatriques sous-jacents. En effet. Mais la dépendance au cannabis n’a rien à voir avec les dépendances à l’héroïne ou au tabac, également douloureuse. Quant au trouble psychiatrique sous-jacent, il ne doit pas être confondu avec ce qu’on appelle un « bad trip », une expérience désagréable mais qui révèle rarement une psychose. Les troubles de la mémoire ou de la concentration devraient suffire à limiter la consommation, mais sans doute ces risques-là sont-ils trop anodins. Coûte que coûte, il faut faire peur.
Autoriser le cannabis alors qu’on veut interdire le tabac ? Effectivement, la tolérance traditionnelle envers le tabac et l’alcool recule, et ce n’est pas pour promouvoir le cannabis. Au-delà des produits, c’est l’ensemble de nos comportements quotidiens qui sont sur la sellette. Chacun de nous est responsable de sa santé. Responsable ou coupable ? Convaincus de notre propre faiblesse, il nous faut reconnaître que l’interdit est structurant. Mais la santé publique a bon dos. Il n’est pas de justification à la judiciarisation de comportements qui ne nuisent pas à autrui.
La loi marque une limite symbolique, mais on ne met pas les usagers de cannabis en prison. Un des arguments paradoxaux qui justifie le maintien de la loi, c’est qu’elle ne serait pas appliquée. C’est tout simplement faux. En 2003, 2 789 sanctions judiciaires ont été prononcées pour usage simple, c’est-à-dire sans produit. Il s’agit essentiellement de sursis, mais pour la détention, nécessairement associée à l’usage, 10 256 peines de prison ferme ont été prononcées sur un total de 39 851 sanctions ouvrant à un casier judiciaire.
Dépénaliser, ce serait envoyer un « mauvais message », qui a conduit l’Espagne à la catastrophe que l’on sait. Depuis plusieurs années, la France a dépassé l’Espagne en nombre de consommateurs. La France est le pays le plus répressif d’Europe, c’est aussi le pays où la progression du cannabis est la plus rapide. Contrairement à une idée reçue, c’est la réalité des risques et non la peur qui freine la consommation. En témoignent la stabilisation et même le recul des consommations de nos voisins en Europe qui ont tous dépénalisé l’usage.
Pour 2008, l’objectif officiel est la politique de tolérance zéro. Ces trois dernières années, le coût de la répression équivaut à celui des dix années précédentes. Entre 1993, année où le Circ réactivait «l’Appel» lancé par Libération, à 2005, 1 292 565 personnes ont été interpellées. Actuellement, près de 90 % sont des usagers de cannabis, soit 10 % de la lutte contre la délinquance. Aux Etats-Unis, la politique de tolérance zéro fait plus d’un million et demi de prisonniers. C’est un autre choix qu’ont fait nos voisins, en Europe. Ils ont fait le bilan d’une répression aussi inutile pour la sécurité que pour la santé publique. La dépénalisation de l’usage, associée à la tolérance de la détention et de l’autoproduction, permettrait à la France de se mettre au diapason. Il ne s’agit pas d’exiger un statut particulier pour le consommateur de cannabis mais au contraire de le faire entrer dans le droit commun. C’est une mesure simple. Elle ne résout pas tout mais elle évite d’en rajouter.