Crime, trafics et réseaux – Géopolitique de l’économie parallèle

« Le crime au cœur du système », Humanitaire, 32 |
Pascale Perez et Michel Koutouzis.

Ce livre (1) ne décrit pas seulement la criminalité organisée : il offre un tour du monde vu par le crime organisé. Les espaces géographiques sont en effet redessinés par les activités trafiquantes : les mers et les déserts sont utilisés à leur profit, l’Amérique latine se trouve reliée à l’Europe par le désert du Sahara et la mer Rouge, pourtant sous haute surveillance, devient un lieu de transit pour les déchets européens à destination des côtes somaliennes. Le livre est également un inventaire des espaces (virtuels, économiques ou politiques) vides ou dérégulés, créés par les tenants du monde d’aujourd’hui. Les espaces ultrapériphériques, les off shore tels qu’ils sont définis par les autorités, deviennent des points clés, des lieux d’intersection, dans l’organisation spatiale du monde criminel.

reseaux criminels koutouzisCependant, le sujet du livre ne se limite pas à la vision du crime organisé sur le monde. Il fallait également poser la question de la perception que les institutions pouvaient avoir de la réalité de ce monde. Cette perception, volontairement fragmentée, faussée par la volonté de décrire un monde tel qu’on le souhaite et non tel qu’il est, a conditionné une gestion routinière et créé des impasses laissant des espaces ouverts au monde souterrain. Par exemple, les gouvernements européens font l’impasse sur la présence d’organisations criminelles discrètes, peu visibles, préférant se focaliser sur la petite délinquance exubérante qui devient la préoccupation principale de l’opinion publique. C’est un des reproches que fait la justice italienne au reste de l’Europe. Et pourtant, ce monde est scruté à la loupe par les experts et les statisticiens, mais la multitude de données produites finit par faire perdre la finalité de telles études. La culture de l’observation ayant supplanté la culture du résultat, on perd la hiérarchie des objectifs et leur évaluation. Il n’y a plus de différence entre vider une cage d’escalier de dealers de haschich et éradiquer le crime organisé dans le monde.

Si la criminalité organisée a su décrypter le monde et en tirer profit, le monde non criminel n’est pas toujours insensible à ses pratiques. Il est des domaines, comme la finance, où les agissements des uns et des autres se rejoignent : accumuler en peu de temps sans anticiper sur le futur est une vision que l’on retrouve aussi bien chez les délinquants que chez les traders. D’autant plus que les produits financiers constituent une cuve commune acceptant l’argent des uns et des autres, la crise actuelle accentuant ce phénomène. Ces passerelles, désormais structurelles, créent un monde complexe et multiple et contribuent à l’entropie mettant en péril l’État de droit : le monde criminel n’est plus installé à la marge du système mais bien en son cœur.

(1) Crime, trafics et réseaux. Géopolitique de l’économie parallèle
Koutouzis Michel, Perez Pascale
(Ellipses, 2012), 320 p.
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