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Droit de réponse –
Le docteur Francis Curtet nous a fait parvenir le droit de réponse suivant :
«Dans un article du 3 octobre 1996 intitulé « »Les toxicos français abandonnés à leur sida, vous attribuez la transmission du VIH aux toxicomanes à « l’aveuglement des experts en toxicomanie. Vous me désignez alors nommément, prétendant qu’en 1992 je « balayais les possibilités de réduction des risques. Je tiens à rectifier la réalité :
1) en 1992, je n’étais plus responsable du Trait d’union mais de l’association Grande Ecoute ;
2) cette même année, j’avais signé un article paru précisément dans Libération le 30 novembre, où on pouvait lire notamment: « Il existe une manière de réduire les risques de contamination sans se compromettre avec la drogue. En donnant des seringues stériles en échange des seringues souillées, donc le contenant et non pas le contenu, on conserve sa crédibilité pour ébaucher un dialogue et, qui sait, une prise en charge;
3) à lire vos propos est coupable de la contamination de milliers de toxicomanes celui qui n’adhère pas inconditionnellement à la substitution, comme s’il s’agissait d’un dogme. Effectivement, certains militants de la substitution ont, depuis plusieurs années, fondé leur stratégie sur le dénigrement des intervenants en toxicomanie et de leurs méthodes, de façon à faire apparaître leur choix comme le seul possible. Je récuse ce procédé et je maintiens que, si la substitution peut avoir comme indication l’accès aux soins des complications liées à la toxicomanie, elle ne constitue pas, en raison d’un considérable taux de rechute, un moyen fiable de prévention du sida. D’ailleurs, la Suisse, l’Espagne, et l’Italie, qui utilisent bien plus que nous la méthadone, ont un taux de toxicomanes séropositifs bien plus important que nous. Il est donc bien plus utile de développer les approches qui permettent à un toxicomane de ne plus fuir dans la drogue et ainsi de ne plus risquer le sida ;
4) à lire vos propos, il serait aberrant « de vanter l’efficacité du réseau de soins français. Pourtant, il est important de valoriser un réseau dont les postcures, malgré des crédits cinq à dix fois moindres que ceux de nos voisins européens, parviennent à aider à se tirer d’affaire près de la moitié des toxicomanes. C’est au nom de cette réalité et de cette efficacité que je n’emboîte pas le pas à ceux qui bidouillent les statistiques pour faire triompher leur idéologie. J’affirme que, dans la course de vitesse que nous menons pour un toxicomane, entre le risque de mort par le sida ou par overdose et son accès à la vie, « la dimension de la parole et de la confiance que vous dévaluez dans votre article, aura dix fois plus d’efficacité que la substitution et ses rechutes quasi inéluctables.
J’utilise mon droit de réponse parce que cet article me porte préjudice tout autant qu’il peut nuire aux toxicomanes. Qu’adviendra-t-il des lecteurs qui auront été ainsi détournés d’une issue thérapeutique?» F.C.
FAVEREAU ERIC, journaliste :
Le retard français. L’article mis en cause est le compte rendu de l’étude de la sociologue Anne Coppel, parue aux éditions du Seuil. Ce travail tentait d’expliquer, pour la première fois, l’incroyable retard dans la prise de conscience collective de la diffusion du VIH chez les toxicomanes français et l’absence de mesures prises pour l’enrayer. Francis Curtet et la plupart des intervenants en toxicomanie y sont pris à partie pour leur incapacité à voir que devant le sida il y avait autre chose à faire que «de s’inscrire dans la dimension de la parole». En 1992, avec la complicité des spécialistes en toxicomanie, il y avait en France moins de 10 places de méthadone, mais plus de 50 000 toxicomanes séropositifs et plus de 10 000 toxicomanes, morts du sida.
Francis Curtet répond en estimant que «le réseau français a été efficace». Et s’appuie pour cela en comparant le désastre sanitaire français à celui de l’Italie ou de l’Espagne, les professionnels de ces pays ayant été encore plus réservés que les Français. On le lui concède volontiers: il y a eu pire. Tant mieux pour lui. Tant pis pour la vie des toxicomanes français, contaminés par le virus du sida cinq fois plus que les Britanniques, et dix fois plus que les Allemands.