- Auteur.e.s :
- Euronews
- Anne Coppel
Dossier réalisé par Marie Jamet, Euronews
Légalisation, dépénalisation ou prohibition. Le cannabis pose question en France où il est la drogue illicite la plus consommée. Un débat complexe souvent réduit à sa plus simple expression entre les pour et les contre et rendu confus par l’usage parfois indifférencié des termes légalisation et dépénalisation.
Cet été, après les Etats américains du Colorado et de Washington en novembre 2012, l’Uruguay a fait un pas sérieux vers la légalisation du cannabis avec le vote d’une loi en ce sens par la chambre des députés.
La loi uruguayenne doit être replacée dans le contexte d’extrême violence des narcotrafiquants à laquelle sont confrontés les pays d’Amérique du Sud. Cette situation est en train de provoquer un changement important des mentalités concernant les politiques de lutte anti-drogue dans toute l’Amérique, y compris du nord, mais aussi dans certains pays d’Europe comme le Royaume Uni.
Deux organisations internationales, la Global Commission on Drugs (non gouvernementale) et l’Organization of American States (intergouvernementale) ont entamé un lobbying pour orienter les politiques internationales et nationales vers la prévention et le soin plutôt que la prohibition, solution qui domine depuis quarante ans. Ainsi, la Global Commission on Drugs a publié un rapport intitulé d’après son slogan : ‘La guerre aux drogues’.
Un débat crispé
Anne Coppel, sociologue et fondatrice de l’AFR (Association Française pour la Réduction des risques liés à l’usage des drogues), partage la conclusion de l’échec des politiques prohibitionnistes et agressives. Mais, selon elle, la prohibition a achevé en France de « polariser le débat sur la question du cannabis, avec des postures politiciennes se réduisant à ‘laxisme’ ou ‘autoritarisme’ ». Dans son livre ‘Drogue sortir de l’impasse’ (par Anne Coppel & Olivier Doubre, Ed. La Découverte), elle pose le cadre dès l’introduction : « défenseurs de l’ordre moral d’un côté, libertaires de l’autre, le débat public est enfermé dans des positions de principe ».
Les partis politiques sont pour (Les Verts, Le Front de Gauche, une partie des socialistes, quelques UMP) ou contre (la majorité UMP, les centristes, le FN), et s’accusent mutuellement d’être trop mous ou trop durs . Au-delà, le tabou domine. Un tabou entretenu, selon K Shoo (se prononce ‘ cachou’ ) porte-parole du CIRC (Collectif d’information et de recherche cannabique), par la loi française qui interdit la présentation des stupéfiants sous un jour favorable et qui, donc, fait que « le débat n’a pas lieu ».
Certes, parfois, l’idée est relancée mais cette polarisation entraîne bien souvent une simplification des arguments avancés. Par exemple, lorsqu’en juin 2012 Cécile Duflot se redit favorable à la légalisation, Arnaud Montbourg, du Parti Socialiste, qui est contre, fait une déclaration un brin manichéenne sur BFM TV : « Je n’ai pas envie que les enfants de France puissent acheter du cannabis dans les supermarchés. »
En France, ils sont peu nombreux à demander la légalisation qui signifie une régulation complète du marché du cannabis par l’Etat. « La France n’est pas dans le même contexte que l’Uruguay ou la Colombie » rappelle Danièle Jourdain Menninger, présidente de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MiLDT) depuis septembre 2012. Le CIRC, lui, fait partie de ces rares pro-légalisation. Il se prononce « résolument pour une réglementation totale du chanvre récréatif » dans un cadre « paritaire coopératif à but non lucratif », sans « publicité de marque » et avec « une traçabilité des produits ». Il s’agit pour l’association d’une question de liberté individuelle « de disposer de son corps ». « Est-on libre de s’empoisonner tant qu’on empoisonne personne d’autre ? » questionne KShoo. A la charge de la société ensuite, selon lui, « d’aider ceux qui en souffrent ».
Informer sur la manière de consommer en limitant et en évitant les dangers est un autre point important pour le CIRC qu’il est impossible de mener à bien sous le régime de la prohibition.
Mais l’argument principal de la légalisation, et qui a motivé l’Uruguay, est le fait de couper l’herbe sous le pied des trafiquants : supprimer la concurrence, les réseaux mafieux et surtout faire baisser l’insécurité ressentie ou réelle ainsi que la violence associée au trafic illicite. « Mon opinion est que plus on renforce la répression, plus il y a de violence » énonce sans ambages la sociologue Anne Coppel. La Global Commission on Drugs dresse le même constat et émet, dans son rapport, plusieurs recommandations : briser le tabou est la première… Suivent, entre autres, l’importance du recours à des politiques de soins et de traitements de substitution, la prévention et l’expérimentation de réglementations plus souples que la prohibition.
Sortir de la violence ou banaliser l’usage ?
Dans la réalité du débat français, la dépénalisation est l’alternative principalement proposée, généralement entendue comme la dépénalisation de la détention et de l’usage. 8 760 personnes ont été condamnées à de la prison ferme ou avec sursis pour usage illicite de produits stupéfiant en 2011 (sur 38 977 condamnations pour usage ou détention). « La répression s’est accentuée avec les peines plancher en 2007 ; elles n’ont pas été créées pour lutter spécifiquement contre les drogues mais elles s’appliquent aussi dans ces cas » analyse la sociologue Anne Coppel. Ainsi, pour les pro-dépénalisation, un des premiers avantages d’un assouplissement de la loi de 1970 serait de sortir les usagers des prisons et de les réinsérer dans un parcours de soins. Comme pour la légalisation, la dépénalisation est vue comme un moyen pour tenter d’affaiblir le trafic illicite et la violence qui l’accompagne souvent. KShoo, porte-parole du CIRC, résume ce point de vue : « la loi de 1970 est une loi criminogène ;; elle crée du crime là où il n’y en a pas, un crime n’a pas de victime. Les fumeurs font un choix, même au risque de devenir dépendants ». Le CIRC parle même sur son site de loi de « pompier pyromane ».
Serge Lebigot, président de l’association ‘Parents contre la drogue’ a utilisé la même expression lors d’une table-ronde organisée au Sénat dans le cadre d’une mission d’information sur les toxicomanies, pour exprimer une opinion radicalement opposée. « Cette politique se résume à une capitulation face au problème de la drogue. […] Certains, devant ce constat, vont nous apporter des réponses toutes faites. ‘Nous avons un problème de cannabis ? Légalisons-le !’ Ceci revient à dire : ‘La maison brûle ? Brûlons toutes les maisons !’ Cette politique du pompier pyromane est absurde ». Pour les partisans du maintien de la prohibition, le risque premier d’une dépénalisation c’est de banaliser le cannabis. Pour Marie-Françoise Camus, de l’association des ‘Le Phare - Familles face à la drogue’, la « permissivité officieuse voire officielle fait d’énorme dégâts ». Cela incite les jeunes à consommer car « au milieu de messages contradictoires, les jeunes absorbent ceux qui leur conviennent le mieux ». Elle ajoute : « les lobbies pro-drogues, comme Act up [sic], se fichent qu’une partie de notre jeunesse qui aurait pu faire de bonnes études, être cadre, faire quelque chose de positif de sa vie, se retrouve à la charge de la société ». Une opinion qui « sur le plan politique n’a pas été comprise », se désole-t-elle. Bernard Mars, gendarme et commandant de la Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile de Lyon (BPDJ), se fait écho de la même difficulté de compréhension du message par les jeunes. Intervenant dans les écoles, collèges et lycées du département du Rhône, il témoigne de l’effet du débat tel qu’il se pose en France : « Nous, les adultes, ne sommes pas très clairs pour les ados. Réfléchir à quel discours j’envoie est un travail d’adulte et les adolescents nous renvoient à nos propres contradictions ».
De fait, tout le monde, y compris le CIRC, s’accorde pour dire que le cannabis n’est pas un produit anodin. Toujours en juin 2012, dans la lignée des déclarations de Cécile Duflot, les académies de médecines et de pharmacie ont publié un communiqué commun rappelant les dangers du cannabis. Elles mettent en garde, comme les médecins du centre d’addictologie de l’hôpital de L’Arbresle près de Lyon l’ont constaté, indiquant que le cannabis est aujourd’hui « beaucoup plus concentré en principe actif […] la teneur [ayant] été multipliée par 5 à 10 depuis 40 ans ». Ils s’inquiètent aussi de nouveaux modes de consommation, comme la pipe à eau, « qui délivre presque instantanément au cerveau des quantité importantes de THC ». Les deux académies listent les risques médicaux que le cannabis peut entraîner et prennent position : « la dépénalisation de sa consommation aura des conséquences délétères sur la santé publique dans notre pays, particulièrement sur les jeunes, en laissant entendre qu’il s’agit d’une habitude sans conséquence nocive ». Ils font, là, référence à de nouvelles recherches en neuroscience qui confirment l’impact particulièrement néfaste de la consommation de cannabis sur un cerveau non mature : enfants, adolescents et tout jeunes adultes. Un autre obstacle à la prise de conscience de la toxicité du cannabis, souligné par Bernard Mars mais aussi les médecins addictologues de l’hôpital de L’Arbresle : la rémanence du produit. Plus diffus que certaines autres drogues, il persiste plusieurs jours dans le corps et donne la sensation que le manque n’est pas là. Le Dr. Brinnel, médecin chef du centre d’addictologie de l’hôpital de L’Arbresle, considère que pour un médecin « dépénaliser est éthiquement indéfendable ;; je ne peux pas être pour ». Il estime que ça « serait livrer la population à un produit toxique ». Il fait le parallèle avec le tabac pour lequel les augmentations de prix ne font pas diminuer le nombre de fumeurs « même si chaque augmentation font arriver de nouveaux patients ». Il nuance : « nous avons les malades en face de nous, donc notre avis n’est objectif, mais tout de même ».
Agir au-delà des clivages
Si le débat est bloqué les politiques publiques bougent néanmoins depuis le début de la prohibition. Pour la sociologue Anne Coppel, il faudrait « se donner des objectifs atteignables, résoudre les problèmes au mieux [puisque] on ne peut pas éradiquer les drogues ». Agir avec des programmes concrets est aussi l’approche de Danièle Jourdain Menninger, présidente de la MiLDT : « c’est plus efficace que d’avoir des positions idéologiques ».
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