- Auteur.e.s :
- Anne Coppel
- Libération
- Tribunes
Quatrième manifestation des riverains à Paris : entre le XIXe, le XVIIIe et le Xe, de nouveau, les habitants sont témoins de violences et d’agressions ; quand ils n’en sont pas les victimes ; de nouveau, drogués et dealers occupent la place de Stalingrad. On aurait pu les croire disparus. Le mystère s’éclaircit si on observe très concrètement ce qui s’est passé dans ce quartier entre 1998 et 2000. Les habitants ont obtenu en partie la présence policière qu’ils réclamaient, nécessaire à leur protection. Les usagers se sont disséminés alors dans les quartiers avoisinants. Dans le XVIIIe, accueil de jour et accueil de nuit, boutique et sleep-in ont pu, partiellement, prendre le relais de la police.
Pour insuffisantes qu’aient été ces actions, elles ne s’en sont pas moins avérées efficaces à la mesure de leurs moyens. Chaque soir, trente usagers de drogues ont été hébergés. Chaque matin, un certain nombre a pu être soigné ou logé durablement. L’action aurait été encore plus efficace si elle avait été menée parallèlement dans d’autres quartiers. Tous les usagers, à un moment ou un autre, veulent prendre une distance. Et, lorsqu’ils se sentent piégés dans l’univers de la rue, le désespoir augmente la violence. Or, aucune porte de sortie n’a jamais été prévue.
A Paris, c’est presque clandestinement que des bouts de réponse ont été explorés, hospitalisations en urgence ou hébergement. Si timides qu’elles soient, ces réponses ont contribué à calmer le jeu. Un temps. Sans relais institutionnel (hébergement à moyen terme, suivi sanitaire et social qui permette de «décrocher» de la scène, circuits de réinsertion), suspectés d’alimenter les problèmes au lieu de les résoudre, les professionnels ont été découragés. La première boutique doit maintenant déménager. Le message a été reçu : ces acteurs sociaux sont en trop, ils ne servent à rien. Il ne faut pas s’étonner si ceux qui restent hésitent désormais à se lancer à main nue, seuls contre tous, sur la scène du crack. Il n’y a pas de traitement pour le crack, répète-t-on à l’envi, d’ailleurs, le problème n’est pas si grave que ça, tout juste une poignée d’agités qui ne justifie pas qu’on s’y attarde. Il est d’autres urgences.
Cet immobilisme politique est d’autant plus insupportable que nous savons comment faire. Il faut déjà accepter de s’en occuper. Genève ou Francfort se sont engagés sur un autre chemin, en favorisant les réponses sanitaires et éducatives. Plus généralement, la plupart des pays européens ont choisi d’allier action policière et action sanitaire et sociale. Ce choix, plus conforme à notre conception de la vie en société, n’est pas moins efficace, à la condition de prendre au sérieux et l’une et l’autre de ces actions. La police de proximité assure la sécurité pour tous et prévient la violence par sa présence, elle contribue à contenir le trafic, à défaut de l’éradiquer définitivement.
Il faut parallèlement un dispositif cohérent dont l’action peut se résumer en trois étapes :
aller au-devant des usagers sur les lieux de rencontre. C’est le travail des équipes de rue, qui doivent entrer en relation avec ceux qui ne vont pas dans les lieux de soins. Or, ce travail est largement en déshérence à Paris : seule une équipe mobile sur les quinze prévues par la MILDT (Mission interministérielle des drogues et des toxicomanies) a vu le jour à Paris.
Sait-on en outre qu’il n’existe aucune équipe intervenant après 18 heures, alors que c’est le soir et la nuit que se regroupent les usagers ?
Créer un système d’accueil, de jour et de nuit, pour les usagers les plus fragilisés. Il doit s’agir de petites structures de proximité pour les usagers de drogue du quartier. Des premières réponses peuvent être données en urgence, tels que les soins infirmiers, l’accès à l’hygiène avec, si nécessaire, une aide alimentaire.
Développer les réponses de soins et d’insertion : lits de crise, solution d’hébergement, traitement de la toxicomanie. Mais il faut veiller à ce que les usagers y aient effectivement accès. L’urgence est en effet de rompre avec notre mauvaise habitude de lancer une expérimentation et de la laisser péricliter sans en tirer les leçons.
La répression est la première demande. C’est aussi la plus simple à entendre. Quelques cars de police et la scène disparaît. Un temps. A moyen terme, la répression ne suffit pas. Les services de police le savent aussi bien que les habitants. La scène de la drogue ne s’est pas installée n’importe où ; elle s’est emparée de quartiers laissés à l’abandon, de lieux insalubres ; la présence des usagers de drogues témoigne indirectement de l’indifférence des pouvoirs publics à la vie de ses habitants. La politique des drogues est une politique de la ville à double titre : c’est à la ville d’intégrer la réponse sociosanitaire en direction des usagers de drogues dans une politique globale dont le principe doit être la solidarité. Comment, autrement, demander aux habitants de ces quartiers une solidarité dont ils ne bénéficient pas eux-mêmes ?