« Le cannabis fait délirer… ceux qui n’en prennent pas »

L’APPEL DU « 18 JOINT », 30 ANS APRES

Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux, Nouvelobs.com

Pour relancer aujourd’hui cet appel qui date de 1976 ? Qu’apporterait la dépénalisation du cannabis ?

– La dépénalisation de l’usage permettrait tout d’abord de simplement en parler. Actuellement, lorsque l’on fait de la prévention et que l’on parle de cannabis dans une classe de lycée, les élèves savent que, s’ils reconnaissent en consommer, ils seront considérés comme des délinquants.

Lorsque l’on parle aux consommateurs de cannabis des risques liés à ce produit, l’un des arguments classiques est la comparaison avec l’alcool et le tabac. Ils ont entièrement raison! Il faut absolument que l’on puisse parler du cannabis comme on parle de l’alcool et du tabac. D’autant plus qu’aujourd’hui nous faisons face à des usages multiples recoupant ces trois produits.

On ne peut que constater que la répression a totalement échoué à limiter la consommation et que, au contraire, la prévention a obtenu de bien meilleurs de résultats et qu’elle a permis, là où elle a été appliquée, de limiter les risques. L’exemple français montre qu’il n’y aucune relation entre le statut légal d’une drogue et son niveau de consommation par la population.

On essaye de nous faire croire que la loi est un rempart alors que le seul rempart efficace, c’est la prévention et l’éducation.
Certes, il serait compliqué de légaliser, notamment en raison des textes internationaux. Mais, par contre, dépénaliser ne poserait aucun problème. Tous nos voisins l’ont fait, aussi bien la Grande-Bretagne que l’Italie, ou l’Espagne, la Belgique, le Portugal voire encore les Pays-Bas.

Cela permettrait déjà de décharger les policiers d’un travail totalement inutile. Il faut savoir que la répression du cannabis représente 10% des activités des forces de police et que, entre 2003 et 2005, l’augmentation des coûts liés à la luttes contre les usagers a été équivalente à celle des quinze années précédentes.

L’idée d’une dépénalisation ne semble pourtant avoir les faveurs ni de l’opinion publique ni des hommes politiques. Comment expliquez-vous ce décalage entre le bilan que vous tirez de la loi de 1970 et les politiques menées depuis trente ans ?

– Depuis le rapport Pelletier de 1978, on a toujours pensé qu’il fallait changer la loi mais que ce qu’il manquait, c’était le courage politique.
Entre-temps, la loi n’a pas bougé tandis que, peu à peu, l’analyse du phénomène a reculé. Puis, il y a Daniel Vaillant qui a fini par reconnaître que la dépénalisation n’était pas forcément une mauvaise idée. Je pense que c’est vraiment une question de courage politique car, quand on regarde ce qu’il s’est passé avec la politique de réduction des risques, on se rend compte que l’opinion publique est tout à fait capable de comprendre les enjeux. Par exemple, quand la présidente de la Mildt de cette époque, Nicole Maestracci, a obtenu que le tabac et l’alcool soient inclus dans la politique de réduction des risques, tout le monde était d’accord.

Dès qu’un débat serein arrive à émerger, on se rend compte que l’opinion se divise en trois tiers: environ 30% qui sont favorables à la dépénalisation, environ 30% qui y sont opposés et environ 30% qui oscillent entre les deux. Mais les idées répressives nous ont pris la tête et le débat est aujourd’hui vicié avant même d’avoir commencé.
On entend souvent que, de toute manière, la loi de s’applique pas. Mais la loi pénale, elle, s’applique bien, et à une minorité tout de même bien ciblée.
Ainsi, en 2003, l’usage simple de cannabis a conduit à l’ouverture de 39.000 casiers judiciaires. Et on peut se dire qu’en 2005 c’est beaucoup plus. Ces condamnations ont tout de même des conséquences et empêchent par exemple de devenir policier ou professeur.
On ne peut également que remarquer que la majorité des interpellations se fait parmi les jeunes des milieux populaires, et bien souvent plutôt bronzés. Si la police tient tant à ce que l’usage soit sanctionné, c’est qu’elle a ainsi un moyen de faire peur, un moyen de pression particulièrement efficace sur les jeunes de banlieues.

Ne paye-t-on pas également un certain « laxisme » des années 80 qui avait conduit à une banalisation du cannabis sans que l’information et la prévention ne soient suffisantes ?

– On est dans une ambiance de renforcement global de la répression, effectivement en partie due à une prise de conscience récente de la réelle dangerosité. C’est vrai que pendant longtemps on n’a pas pris le cannabis au sérieux. Mais aujourd’hui, en réaction, on cherche à culpabiliser les gens et on tente de faire passer la dépénalisation pour du laxisme, comme si l’interdiction était la solution à tout.

Il y a une confusion entre responsabilisation et peur du gendarme.
En cherchant à faire peur, on a décrédibilisé totalement le discours de prévention. Lorsqu’on interroge les personnes qui ne consomment pas ou qui ont arrêté de consommer, les raisons qu’elles citent sont généralement le fait que ça déconcentre, que cela provoque des troubles de la mémoire, des crises d’angoisses, que l’on plus envie de bouger. Et ces arguments suffisent bien souvent. Par contre, quand on agite la dépendance, qui, dans le cas du cannabis, est exceptionnelle, on décrédibilise le discours de prévention et on obtient un effet contraire à celui voulu.
Il faut que l’on puisse faire avec le cannabis le même travail de prévention qu’avec le tabac, que l’on sorte des fantasmes pour entrer dans la réalité. Et cette réalité c’est que, oui, le cannabis est une drogue, un psychotrope avec des dangers, mais que cette drogue est moins dangereuse que l’alcool. C’est même la moins dangereuse de toutes les drogues, comme l’a montré par exemple le rapport Roques, alors que c’est celle qui est traitée le plus sévèrement. J’ai l’impression parfois que le cannabis fait délirer… surtout ceux qui n’en prennent pas
Mais attention, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas dangereuse: c’est une drogue, un psychotrope qui modifie la perception et qui amplifie les sensations. Par exemple, on ressentira mieux la musique, on sera encore plus joyeux, ouvert. Mais à l’inverse, si on est angoissé par nature, le cannabis réactivera et amplifiera cette angoisse. Encore une fois, la consommation de cannabis est bien dangereuse, et il n’est pas question de le nier. Mais en dramatisant le discours, on décrédibilise la prévention.

 

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