- Auteur.e.s :
- Anne Coppel
- Michel Kokoreff
- Michel Peraldi
- Alexandre Marchant
- Médiapart
- journal EaN En attendant Naudeau
- Libération
- Le Monde
- Les Inrocks
Livre sous la direction de Michel Kokoreff, Anne Coppel et Michel Peraldi
Éditions Amsterdam, février 2018
Avec les contributions de Vincent Benso, Anne Coppel, Jean-Michel Costes, Claire Duport, Emmanuelle Hoareau, Michel Kokoreff, Aude Lalande, Alexandre Marchant, Fabrice Olivet, Michel Peraldi, Liza Terrazzoni.
L’ambition de ce livre est de donner de la profondeur historique à la catastrophe sanitaire et sociale que fut l’héroïne, à sa répression, aux dynamiques et cycles de sa consommation et de son trafic. Il raconte cette histoire dans ses multiples dimensions, sociale et économique, culturelle et urbaine, politique et géopolitique, en privilégiant le point de vue de ceux qui ont été ses acteurs ou témoins. Plus généralement, il prend l’héroïne comme analyseur, pour saisir ce que les drogues font à la société.
Le marché de l’héroïne se structure au cours des années 1950, mais c’est avec Mai 68 que s’amorce un premier tournant : dans ce bouillonnement politique, sociétal et culturel, les produits se diffusent au sein d’une jeunesse en quête de liberté et d’expériences. La fin des Trente Glorieuses marque un durcissement. La consommation d’héroïne s’étend et les sources d’approvisionnement se multiplient, bien au-delà du mythe de la « French Connection ». Les années 1980 sont un tournant majeur : on voit apparaître des « scènes » où les drogues sont vendues et consommées ouvertement dans les squats, quartiers délabrés, « banlieues » et autres « cités maudites ». Les ravages de l’héroïne deviennent de plus en plus visibles et sa diffusion joue un rôle central dans la construction du problème des banlieues dans sa version sécuritaire et racialisée. Les quartiers dits défavorisés vont être au cœur de sa diffusion mortifère, frappées par l’épidémie de sida, d’une part, et par les politiques répressives, d’autre part. Une bascule s’opère dans les années 1990 lorsque Simone Veil, ministre de la Santé, s’engage dans la mise en place d’un dispositif expérimental de réduction des risques.
L’histoire de l’héroïne est celle de la répression, de la guerre à la drogue et, en corollaire, de l’absence de culture de santé publique en France, mais c’est aussi celle d’un processus de transformation des appartenances collectives et des identités culturelles qui interroge le rôle des produits psychotropes dans le changement social.
CRITIQUES / MÉDIATISATION :
Interview d’Anne Coppel et Michel Kokoreff : « Prendre les usagers de drogue pour des fous ou des suicidaires est un contresens », Éric Favereau, Libération, 13 avril 2018
Comment l’héroïne, drogue la plus meurtrière, a-t-elle séduit toutes les époques et milieux sociaux ? par Chloé Thoreau, Les Inrocks, 25 février 2018
L’héroïne, ce « monstre épidémique », par François Béguin, Le Monde (abonné.e.), 12 février 2018
Héroïne, « la catastrophe invisible », par Joseph Confavreux, Mediapart (abonné.e.), 17 février 2018
L’héro entre dans l’histoire, par Philippe Artières, EaN – En attendant Nadeau, n°67, 20 novembre 2018
EN COMPLÉMENT / VIDÉO :
Laura Raim : Je peux le dire avec une bonne dose de certitude : je suis à peu près sûre que je n’essaierai jamais l’héroïne. De manière générale, j’ai grandi dans la terreur des drogues dures, terreur nourrie par des histoires sinistres d’overdose, de neurones grillés et de badtrips fatals. Mais en ce qui concerne plus particulièrement l’héroïne, je ne me suis jamais sentie concernée par cette menace : l’héroïne, c’était la drogue du junky édenté et tremblotant, cette figure inquiétante de la dépendance, du manque et de la déchéance que j’avais découverte dans le film Trainspotting puis retrouvée dans le personnage de Bubbles dans The Wire.
Lire La catastrophe invisible, histoire sociale de l’héroïne, publiée aux éditions Amsterdam, c’est comprendre que ces représentations ne tombent pas du ciel. Elles sont façonnées par un certain discours médiatique, lui même branché directement sur un discours policier, par un arsenal législatif issu d’une politique purement répressive, mais aussi par une certaine approche médicale et une grille de lecture psychanalytique. C’est comprendre que la catastrophe, bien réelle – plus de 40 000 morts entre 1970 et 2005 – n’est pas seulement la diffusion de ce psychotrope mais le traitement politique sécuritaire qui a si longtemps interdit, contrairement à ce qui se faisait en Suisse, en Grande-Bretagne ou aux Pays Bas, la libre vente de seringues stériles et la prescription de produits de substitution.
Co-directrice de cet ouvrage passionnant, la sociologue Anne Coppel est une figure centrale du mouvement de la réduction des risques qui a finalement réussi à imposer dans la pratique les mesures d’aide et d’accompagnement des usagers de drogue, contribuant grandement à mettre fin à l’hécatombe silencieuse liée aux overdoses et au sida, notamment dans les cités.
Dans cet entretien on retrace ensemble les grandes étapes de l’histoire sociale, culturelle et politique de l’héroïne en France, « la Découverte » (1964-1973), « la Bascule » (1973-1987) et « le Reflux » (1988-1996), pour saisir comment l’héroïne connaît « une transformation totale, passant du statut de produit “chic”, valorisé, voire médicalement approuvé, à celui de monstre épidémique. En changeant de statut social, ou plus exactement, d’univers culturel et social d’ancrage, elle change aussi de statut politique, institutionnel, imaginaire ».