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- Commission mondiale sur la politique des drogues
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RAPPORT DE LA COMMISSION MONDIALE POUR LA POLITIQUE DES DROGUES
RÉSUMÉ
La guerre mondiale contre la drogue accélère la transmission du VIH/sida parmi les usagers de drogues et leurs partenaires sexuels. Les études menées à travers le monde montrent systématiquement que les politiques répressives de lutte contre la drogue empêchent les usagers d’accéder aux services de santé publique et les maintiennent dans des milieux marginaux où le risque d’infection par le VIH est très élevé. L’emprisonnement massif des auteurs de délits non violents liés à la drogue joue également un rôle majeur dans l’accroissement du risque de transmission du virus. Il s’agit d’un problème de santé publique fondamental dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis où près de 25 % des Américains infectés par le VIH encourent chaque année le risque d’être incarcérés. Ce taux d’incarcération disproportionné est l’une des raisons principales de la propagation accrue du VIH dans la communauté afro-américaine.
Il a également été prouvé que l’application de politiques répressives à l’encontre des consommateurs de drogues constitue un véritable obstacle au traitement du VIH. Bien qu’il ait été démontré que le traitement de l’infection par le VIH réduit considérablement le risque de transmission du virus par des individus infectés, les répercussions sur la santé publique des interruptions de traitement liées aux politiques répressives de lutte contre la drogue ne sont toujours pas considérées comme une entrave majeure aux efforts de contrôle de la pandémie du VIH/sida dans le monde.
La guerre aux drogues a par ailleurs conduit à une distorsion de la politique qui minimise ou ignore les traitements de la toxicomanie basés sur des preuves scientifiques et les mesures de santé publique. Bien qu’il s’agisse d’un problème récurrent dans le monde, certains pays, en particulier les États-Unis, la Russie et la Thaïlande, font fi des évidences scientifiques et des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé, tout en s’opposant à la mise en place de programmes de prévention du VIH fondés sur des données cliniques, avec des conséquences dévastatrices. En Russie, par exemple, près d’un adulte sur cent est aujourd’hui infecté par le VIH.
À l’inverse, les pays qui ont adopté des mesures de santé publique et des traitements de la toxicomanie scientifiquement éprouvés ont enregistré une baisse spectaculaire de la propagation du VIH chez les utilisateurs de drogues, ainsi qu’une diminution de l’usage par injection. Des lignes directrices claires et consensuelles permettent d’atteindre ce résultat, mais les outils de prévention du VIH ont été sous-exploités et les politiques néfastes de lutte contre la drogue ont mis longtemps à évoluer.
Voilà sans doute une conséquence de l’hypothèse totalement erronée selon laquelle les saisies de drogues, les arrestations, les condamnations pénales et autres indices couramment présentés comme des « succès » de la lutte antidrogue ont été globalement efficaces pour réduire la disponibilité des drogues illicites. Les données fournies par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime révèlent cependant que l’offre mondiale d’opiacés illicites, comme l’héroïne, a augmenté de plus de 380 % au cours des dernières décennies, passant de 1 000 tonnes en 1980 à plus de 4 800 tonnes en 2010. Cette hausse coïncide avec la diminution de 79 % du prix de l’héroïne, en Europe, entre 1990 et 2009.
D’autres preuves similaires de l’échec de la guerre menée contre la drogue pour contrôler l’offre sont mises en évidence en analysant les données du système de surveillance des drogues aux États-Unis. En dépit d’une augmentation de plus de 600 % du budget fédéral consacré à la lutte antidrogue aux États-Unis depuis le début des années 1980, le prix de l’héroïne a par exemple baissé de près de 80 % dans le pays au cours de cette période, alors que la pureté de cette substance augmentait, quant à elle, de plus de 900 %. Une tendance similaire de chute des prix accompagnée d’un accroissement de la puissance du produit s’observe, dans les données de surveillance américaines, pour d’autres substances illicites couramment consommées, comme la cocaïne et le cannabis.
Comme ce fut le cas aux États-Unis avec la prohibition de l’alcool dans les années 1920, la prohibition conduit aujourd’hui à une intensification de la violence liée au commerce des drogues dans le monde entier. Par exemple, plus de 50 000 personnes auraient perdu la vie depuis la montée en puissance, en 2006, de l’offensive militaire du gouvernement mexicain contre les cartels de la drogue. Bien que les partisans des politiques répressives puissent considérer que ces véritables massacres soient à même de perturber les capacités de production et de distribution des drogues illicites, des estimations récentes indiquent que la production d’héroïne mexicaine a augmenté de plus de 340 % depuis 2004.
Face à la propagation de l’épidémie de VIH dans des régions et pays où elle est largement due à l’usage de drogues par voie injectable et à la récente mise en évidence que les infections liées à l’injection sont désormais en hausse dans d’autres régions, notamment en Afrique subsaharienne, il est grand temps d’agir. Malheureusement, les agences nationales de santé publique et celles de l’ONU ont été reléguées au second plan. Bien que la guerre contre la drogue ait favorisé la propagation du VIH dans de nombreuses régions, d’autres organismes en charge de l’application des lois et certaines agences de l’ONU ont activement poursuivi leurs politiques de répression, au détriment de la santé publique. N’importe quelle analyse sérieuse des répercussions de la guerre aux drogues tendrait à démontrer que de nombreuses organisations nationales et internationales, chargées de réduire les problèmes liés à la drogue, ont en fait contribué à une détérioration de la santé et de la sécurité des communautés concernées.
Les choses doivent changer.