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C’est avec stupeur que nous avons appris l’éviction de Jean Michel Costes de son poste de directeur de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies.
Les raisons mises en avant pour justifier cette décision aussi brutale qu’inattendue sont plus qu’inquiétantes.
Disons tout d’abord que Jean Michel Costes, en quinze ans, a réussi à créer un lieu d’observation, de recueil de données, de construction de tableaux de bords aujourd’hui à la fois incontournables et indispensables.
C’est à l’OFDT que tous les spécialistes et décideurs doivent se référer pour avoir accès à des données nationales fiables en matière d’usage de drogues illicites, d’alcool, de tabac.
Ces données ne suffisent évidemment pas à faire une politique, pas plus qu’à dicter des actions de prévention ou de soins, mais seulement à éclairer les différents acteurs.
Souvent, elles nous ont permis de sortir de représentations toutes faites, d’idées préconçues, de fausses évidences.
Nous pouvons considérer que, grâce au travail accompli, nous sommes sortis du Moyen-âge, où les décisions se prenaient à l’aveugle, en fonction des opinions, toujours plus ou moins subjectives, d’experts n’ayant, par définition, accès qu’à une petite partie des données utiles. L’OFDT est devenue la source de données épidémiologiques, démographiques, ainsi que d’études ciblées sur des problématiques particulières, qui échapperaient aux grandes enquêtes en population générale.
A l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) à Lisbonne, les rapports reçus de l’OFDT servent de référence. Les connaissances, l’objectivité, le professionnalisme de Jean Michel Costes ont toujours été reconnus par l’ensemble des intervenants, et il est devenu l’un des experts les moins discutés du champ des addictions. C’est à ce titre qu’il a participé à d’innombrables travaux en dehors de l’OFDT, par exemple aux expertises collectives de l’INSERM sur le jeu excessif, ou à celle sur l’évaluation des dispositifs de réduction des risques auprès des usagers de drogues.
Cette dernière semble avoir déplu : ses résultats, sans aucun doute, ne correspondaient pas aux « éléments de langage » prônés par la MILDT. Une petite partie de ce travail portait en effet sur l’évaluation des expériences menées dans plusieurs pays étrangers sur les salles d’injection supervisées pour usagers de drogue par voie intraveineuse. On sait que le président de la MILDT s’est clairement opposé à une telle expérimentation, et par ailleurs que les données étrangères les évaluent de façon positive.
Ce n’est pas la première fois que des données objectives ou le résultat de recherches scientifiques gênent, lorsqu’ils ne correspondent pas à ce qui pourrait appuyer une décision politique.
C’est par contre la première fois que, d’une manière brutale, on a décidé de punir celui qui ne faisait qu’énoncer des faits, comme l’on tuait, dans l’antiquité, le messager porteur de mauvaises nouvelles. Détruire les faits, pour laisser place à des « éléments de langage » : c’est un avènement sans précédent, quasi officiel, d’un « storytelling », dans lequel la manipulation de l’opinion publique tient lieu de politique. Le quarantième anniversaire de la loi du 31 décembre 1970 aurait dû être l’occasion d’une prise de recul, d’une réflexion sérieuse, voire d’une remise à plat de l’ensemble des lois et règlements en matière d’addictions.
Les décisions en la matière ne relèvent pas purement et simplement de la science, elles sont éminemment politiques, et doivent prendre en compte tant des facteurs d’opinion, que les valeurs auxquelles se réfèrent les décideurs. Mais elles doivent, autant que possible, tenir compte des données de recherche, des chiffres, et, lorsqu’ils s’imposent comme tels, des faits.
D’un tel débat, pourtant si nécessaire, nous constatons qu’il n’est guère question : manipuler la peur de la « drogue », attiser le sentiment d’insécurité, deviennent plus importants que la recherche, le soin, la prévention.
Ceci nous paraît d’autant plus plausible comme explication, que dans une période qui aurait dû les voir très actifs, ni le collège scientifique de l’OFDT (qui n’a pas été renouvelé), ni le conseil scientifique de la MILDT n’ont été consultés.
Le moment pour changer de direction à l’OFDT est donc particulièrement mal venu, d’autant que, par exemple, les résultats des dispositifs de réduction des risques auprès des usagers de drogues (RECAP) commencent à être connus, et que la première étude (dirigée par J.M Costes) sur la prévalence du jeu excessif va être présentée…
Dans ce contexte, il serait plus simple de commander directement le résultat des recherches : une augmentation des problèmes de « drogues » si l’on veut inquiéter, une diminution si l’on veut montrer l’efficacité de sa politique. Pour cela, il faut d’abord se débarrasser de l’OFDT, ou en faire un instrument docile, qui ne publiera que les « bons » chiffres.
Le fond du problème est là : un observatoire des drogues, des toxicomanies, des addictions, du jeu, devrait être une autorité suffisamment indépendante, pour fournir des données de la façon la plus impartiale possible.
Le lien de dépendance entre l’OFDT et la MILDT deviendrait un problème, si cette dernière agissait plus pour faire accepter une politique établie ailleurs et par avance, que pour aider à en construire une en fonction des besoins réels, et des évaluations des actions menées.
C’est donc le rôle de la MILDT aujourd’hui qui devrait être éclairci et évalué.
Signataires :
Docteur Marc Valleur, psychiatre, médecin-chef de l’hôpital Marmottan et l’ensemble de l’Equipe
Docteur Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, directeur de recherche à l’Inserm, Université Paris VI
Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, chercheuse à l’EHESS et au Centre Edgar Morin
Jean-Pierre Couteron, président de Fédération Addiction
Docteur Alain Morel, psychiatre, directeur général de l’association Oppelia.
Claude Got, professeur de médecine honoraire, auteur du site « securite-routiere.org », Président du collège scientifique de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (1999-2005)
Alain Labrousse, sociologue, ancien collaborateur de l’OFDT
Docteur Claude Jacob, Metz (ex-membre du Collège Scientifique de l’Ofdt)
Isabelle Gremy, Directrice de l’Observatoire régional de santé d’île-de-france (ex-membre du Collège Scientifique de l’Ofdt)
Renaud Colson, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles UFR droit et sciences politiques, Université de Nantes
Serge Karsenty, Sociologue, chercheur honoraire, (ex-membre du Collège Scientifique de l’Ofdt)
Antoine Lazarus Professeur de Santé publique et médecine sociale, Université Paris 13, Président de la Commission Prévention de la Conférence régionale de Santé et d’autonomie d’Ile de France (ex-membre du Collège Scientifique de l’Ofdt)
Docteur Annie Sasco, médecin et directrice de recherche, Epidémiologie pour la prévention du cancer, Inserm U897, Université Bordeaux Segalen, (ex-membre du Collège Scientifique de l’Ofdt)
Bertrand Lebeau, président de l’Association Française pour la Réduction des risques liés à l’usage de drogues (AFR).
Patrick Beauverie, Pharmacien, Administrateur de Médecins du Monde.
Docteur Jean-Pierre Lhomme, Président de l’Association Gaïa-Paris, membre de Médecins du Monde
Martine Lacoste, Directrice de l’Association Clémence Isaure-Toulouse, Vice-Présidente de la Fédération Addiction
Docteur Laurent El Ghozi, Conseiller municipal délégué de Nanterre, Président de SIDA-Paroles Président de l’association Elus, Santé Publique & Territoires.
Professeur Albert Hirsch, Ligue nationale contre le cancer
Docteur Alain Rigaud, Président de l’ANPAA et l’ensemble de l’Equipe
Docteur Philippe Michaud, Directeur médical, Institut de Promotion de la Prévention Secondaire en Addictologie
Docteur Sylvie Wieviorka, conseillère de Paris, directrice d’un CSAPA
Jean-Pierre Zolotareff, psychothérapeute, addictologue, directeur général du réseau PASS IDF
Docteur Christian Sueur, psychiatre, Papeete Tahiti
Docteur Anne Toulouse, responsable du CSAPA du Blanc-Mesnil
Docteur François Hervé, directeur, Pôle Addictions, Santé-Précarité, Association AURORE
Serge Longère, président de l’A.F.R Association Française de Réduction des Risques
François Pissochet, psychologue psychothérapeute, addictologue, directeur délégué du réseau PASS Ile de France
Roselyne Crété, Directrice de La corde raide, et son équipe
Catherine Berthier, statisticienne-économiste (ex-membre du Collège Scientifique de l’Ofdt)
Danièle Bader-Ledit, directrice de l’ association Ithaque (CAARUD, CSAPA , réseau médecine de ville) et son équipe
Bruno Tanche, Ancien directeur de CSST et CSAPA
Armelle Achour, Secrétaire générale – S.O.S. Joueurs : prévention et traitement de l’addiction au jeu
Marc Kusterer, Directeur du CSSRA « Marienbronn », Lobsann (67)
Anne Borgne, médecin addictologue
Catherine Luttenbacher, psychologue, groupe ERIC (équipe mobile d’intervention et de crise), hôpital Charcot 78.
Pierre Kopp, professeur a l’université Panthéon-Sorbonne (paris 1) ex membre du conseil scientifique de l’OFDT
Hayet Aggoun, Directrice de CSAPA
Rachel Guichard, Chef de service CAARUD Kaléidoscope – GROUPE SOS
Thomas Rouault, Ancien directeur de TOXIBASE et participant à la fondation de l’OFDT en 1994.
Christine Viandier, ni médecin, ni soignant, ancienne toxicomane
Anne Zoll, ancien Doyen Faculté de Pharmacie Dijon et ancienne Présidente de l’association SEDAP Dijon