- Auteur.e.s :
- Le Journal du Sida
- Anne Coppel
Propos d’Anne Coppel, recueillis par Olivier Donnars – JDS :
La réduction des risques (RDR) lié à l’usage des drogues repose sur un grand principe. Tout consommateur de drogues doit avoir les mêmes droits que quiconque pour protéger sa santé et doit disposer de tous les outils pour se protéger.
Au début des années 90, cela a été un bouleversement complet dans la façon de penser la politique de santé publique concernant l’usage des drogues. Car les toxicomanes n’étaient jamais reçus dans les services d’urgence et jusqu’en 1994, la seule réponse apportée était la désintoxication, qui était bien loin d’apporter une solution à l’épidémie de VIH.
L’autre grand principe de la RDR et de la lutte contre le VIH/sida, c’est d’appeler à la responsabilité individuelle et collective des consommateurs.
Rien ne se serait fait sans qu’ils s’approprient eux-mêmes les outils de prévention. Les politiques et l’opinion publique ont souvent en tête l’image des toxicomanes comme des gens irresponsables, suicidaires. Mais contre toute attente, ils ont très majoritairement renoncé à partager leur seringue ; d’autres ont renoncé à l’injection ou se sont tournés vers les produits de substitution.
Le combat a été long mais les résultats ont été miraculeux. Au début des années 90, presque un tiers des contaminations étaient liées à l’injection. En 2000, ces contaminations sont passées à 1 ou 2 % et les overdoses ont baissé de 80%. Et la RDR a été reconnue comme une véritable politique de santé publique en 2004. Rien n’aurait été possible aussi sans la mobilisation collective des patients, des associations et des médecins généralistes et hospitaliers. Cela a été la force de ce combat !
Or ce qui a fait le succès de la RDR et de la lutte contre le VIH/sida a été oublié. Et on le voit bien dans la gestion de l’actuelle pandémie au Covid-19.
Le gouvernement appelle à se responsabiliser mais cela ressemble plus à une injonction ou une leçon de morale en traitant la population comme des enfants indisciplinés ! Il invoque l’autorité médicale comme justification mais tout en restant autoritaire sur la gestion.
On applique des sanctions sans jamais mettre à disposition tous les outils de prévention. Ce qui est exactement le contraire d’une responsabilisation individuelle et collective.
L’absence de tests, par exemple, que l’on n’a pas considéré comme un outil de gestion du risque. Pourtant, dans le VIH, on voit bien l’intérêt du dépistage, à la fois pour bénéficier d’un traitement le plus tôt possible mais aussi pour adopter une démarche responsable et préventive pour protéger les autres. Et puis, on a totalement oublié la solidarité active qui associe très étroitement toutes les personnes concernées en commençant par les patients et les acteurs mobilisés avec le soutien de militants (VIH/sida, RDR, humanitaire…), de médecins et de leurs proches.
On a du mal à recruter de patients pour expérimenter des traitements contre le Covid-19. Dans la lutte contre le VIH, on avait des volontaires parce qu’il y avait une alliance entre les patients et les médecins. Ils luttaient ensemble contre la maladie.
Pour les masques, le gouvernement a voulu privilégier les grosses structures alors qu’il y en avait de plus petites et plus mobilisables mais qui ont été écartées. Et il ne s’est pas posé la question que chacun pourrait s’approprier ce masque comme un outil de prévention. Au contraire, on a stigmatisé les premières personnes qui en portaient, comme les personnes d’origine asiatique.
Le confinement est aussi une stratégie foncièrement inégalitaire. Il faut un logement et un minimum de ressources financières. Chose impossible pour ceux qui parmi les usagers de drogues sont en grande exclusion. Certains étaient en train de mourir de faim tout simplement. Heureusement, l’association Gaïa, avec l’aide de l’administration qui a retenu les leçons du sida, a réussi à faire héberger 300 personnes à Paris et deux hôtels ont accepté de prêter chacun 30 chambres pour accueillir les plus précaires. Mais il reste encore des obstacles dans l’accès aux soins. Et puis la question des foyers d’hébergement de travailleurs, de jeunes, les prisons, les centres de rétention et tous les lieux collectifs contraints, où la prévention n’a pas été prévue.
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