- Auteur.e.s :
- Ligue des Droits de l'Homme (LDH)
Dans sa déclaration du 22 mars 1996, le Comité central de la Ligue des droits de l’Homme demande une révision de la loi du 31 décembre 1970.
La législation actuellement en vigueur repose sur la loi du 31 décembre 1970 « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage des stupéfiants ». Tout usage de drogue illicite (cannabis, cocaïne, crack, ecstasy, héroïne, etc.) est un délit punissable d’un an de prison, quelles que soient les conditions de consommation (en privé ou non).
Cette loi est incohérente car elle prétend donner un caractère sanitaire au traitement de la toxicomanie, alors qu’elle ne conduit dans la réalité qu’à un traitement répressif. Incohérente, cette loi l’est également en ce qu’elle traite de la même manière l’usager détenteur de stupéfiants et le producteur.
Cette loi est dangereuse : elle amalgame les différents produits et les diabolise sans nuance, empêchant une information crédible et objective, information pourtant essentielle à une prévention efficace. Comment être cru quand on soutient que le cannabis et l’héroïne présentent les mêmes dangers ? Dangereuse cette loi l’est encore en ce qu’elle a conduit à l’instauration d’un véritable droit d’exception de la drogue (peines aggravées, cours d’assises sans jurés, etc.) que la nécessaire répression du trafic ne justifie pas au regard des atteintes aux libertés individuelles qu’elle constitue.
De plus, l’article L 630 du Code de la santé publique, article issu de la loi de 1970, punit d’amende et d’emprisonnement toute « présentation sous un jour favorable de stupéfiant » ; cet article est un obstacle légal à tout débat public sur les drogues.
Enfin, il faut bien constater que la loi n’a pas empêché une détérioration de la santé publique dans le domaine de la toxicomanie. La législation, l’une des plus répressives d’Europe, n’a pas eu l’effet dissuasif attendu, et la situation n’a fait que s’aggraver. Confronté à un problème social d’importance, le législateur a apporté la réponse d’un ordre moral répressif mais sans efficacité.
C’est en terme de droits de l’homme que la LDH mène une réflexion sur les problèmes de toxicomanie. Pour la LDH, la réalité des toxicomanies est diverse et appelle des réponses différenciées et respectueuses des libertés individuelles ; d’autre part, le corps social n’a aucune légitimité à criminaliser des comportements qui intéressent avant tout chaque individu ; enfin, la loi pénale n’est pas un moyen approprié pour inciter à protéger sa santé.
Néanmoins, le corps social a le droit et même le devoir d’intervenir : en menant une politique active de santé publique, en développant une politique de prévention (par une information objective), en réprimant l’incitation à la consommation (notamment en direction des mineurs), en luttant contre le trafic…
C’est pourquoi la LDH demande la modification de la loi de 1970, et notamment:
– la dépénalisation de l’usage en privé de toutes les drogues – en effet, le respect des libertés individuelles implique que l’usage des drogues par des citoyens adultes et bien informés soit toléré dans la mesure où il n’est pas nuisible aux autres (et même si l’individu semble se nuire à lui-même) ;
– la légalisation du cannabis – en effet le cannabis est reconnu comme moins dangereux que l’alcool et le tabac, drogues légales (affirmation confirmée dans le rapport du professeur Bernard Roques , juin 1998) ; la vente de ce produit pourrait être réglementée sous contrôle de l’Etat ;
– l’abrogation de l’article L 630 du Code de santé publique, de façon à rendre possible un débat public.
DROGUES ET DROITS DE L’HOMME
Déclaration du Comité central de la LDH, le 22 mars 1996 [1]
Le développement de l’usage des drogues, les conséquences importantes de ce phénomène pour les individus comme pour la société çonduisent à s’interroger sur la pertinence des réponses apportées. C’est en termes de droits de l’homme que la LDH a mené sa réflexion.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1970 qui a pénalisé l’usage, même privé, des drogues, tout en regardant, au travers de l’injonction thérapeutique, l’usager comme un malade, la législation française n’a cessé de se développer dans un sens toujours plus répressif.
Cette politique a un coût, que ce soit en termes de santé publique, de prévention ou de droits de l’homme. En terme de santé publique, on doit regretter que les atermoiements des pouvoirs publics aient retardé la mise en oeuvre de mesures comme l’échange des seringues et en général une meilleure prise en charge médicale.
En terme de prévention, l’amalgame entre les différents produits stupéfiants, l’application indifférenciée de la loi aux simples consommateurs, aux usagers-trafiquants et aux trafiquants de profession ont rendu peu lisibles les démarches d’information, notamment auprès des jeunes. En terme de droits de l’homme, on a vu apparaître un véritable droit d’exception qui, au bénéfice d’une lutte justifiée contre le trafic de drogues, porte atteinte aux libertés individuelles de chacun en oubliant qu’un toxicomane est aussi, et avant tout, un citoyen.
Manifestement, l’interdit ainsi posé et maintes fois réaffirmé et sanctionné n’a pas l’effet dissuasif que les pouvoirs publics enattendent : le nombre de toxicomanes n’a pas diminué et le trafic des produits stupéfiants continue d’irriguer une économie parallèle. Il n’est pas très utile de vilipender la politique des Pays Bas ou de provoquer les travaux de la commission Henrion, si, au total, les pouvoirs publics refusent de s’interroger sur la pertinence de la politique actuelle et se réfugient dans un immobilisme absolu.
Il faut ouvrir de nouvelles voies et reconnaître que la réalité des toxicomanies est diverse et appelle des réponses différenciées et respectueuses des libertés individuelles.
Il faut alors rappeler que le tort fait à soi-même ne peut être traité de la même manière que le tort fait à autrui : même si la liberté individuelle n’a pas pour finalité l’autodestruction, le corps social n’a aucune légitimité à criminaliser des comportements qui intéressent avant tout chaque individu. La loi pénale n’est aucunement le moyen adapté pour inciter à protéger sa santé. De plus, la confusion volontairement entretenue entre les divers produits stupéfiants comme entre simple consommation et abus ou trafic conduit à un véritable arbitraire que le corps social ne peut justifier en aucune manière.
Comment expliquer que le cultivateur d’un plan de cannabis s’expose aux mêmes peines qu’un producteur d’héroïne ?
Dire cela ce n’est pas dénier au corps social le droit d’intervenir : tant les attitudes violentes que la désocialisation qu’implique l’abus d’usage de certaines drogues appellent, tout au contraire, une intervention forte des pouvoirs publics. D’autant que l’État ne peut ignorer ni les coûts en terme d’intégration, ni les enjeux en terme de sécurité que génèrent dans les quartiers le développement de systèmes mafieux et celui d’une micro-économie souterraine liés à l’application du couple prohibition/répression. Par ailleurs, l’État a le devoir de proposer son assistance à tout individu atteint d’une quelconque pathologie, et de mener un politique active de santé publique.
Admettre la complexité des situations et des réponses, ce n’est pas accepter la toxicomanie, c’est tenter de mieux lui faire face en protégeant le contrat social tout en respectant les individus.
Affirmer l’intervention du corps social
La prévention reste au coeur de cette intervention. Elle passe par une information objective sur tous les produits sans exagérer ni minimiser les risques propres à chacun. Il faut que cette information éclaire le refus de la société de rester neutre par rapport à l’usage de ces produits, même lorsqu’il n’y a pas d’atteinte à autrui.
En même temps l’aspect répressif de cette intervention ne peut être éludé, qu’il concerne la lutte contre le trafic et la constitution de circuits financiers qui en découle ou qu’il vise les actes de délinquance au préjudice d’autrui. L’incitation à la consommation, notamment en direction des mineurs, doit être très sévèrement réprimée.
Respecter la citoyenneté et les libertés
Un usager de drogues reste et demeure un citoyen qui bénéficie de la reconnaissance de tous ses droits. L’usage privé des drogues doit être dépénalisé, car il n’existe aucune raison de principe ou d’efficacité pour maintenir la prohibition actuelle.
La lutte nécessaire contre le trafic de drogue ne justifie pas le recours à des juridictions d’exception (comme la cours d’assise sans jurés), ni le recours croissant à des procédures d’exception (perquisition de nuit, garde à vue prolongée, etc.), encore moins le recours à des mesures discriminatoires comme celle qui vise les étrangers (interdiction du territoire).
L’interdit ne doit être maintenu que pour autant qu’il est utile. Dans le cas du cannabis, l’interdiction de vente ne répond à aucune nécessité de santé publique et favorise la constitution de circuits criminogènes. La vente de ce produit peut être réglementée sous le contrôle de l’Etat, à l’instar de l’alcool et du tabac.
P.-S.
Communiqué de la LDH
Drogues : légalisons le débat
L’article L 630 du Code de la Santé publique est une législation liberticide qui, censurant de fait toute expression sur les produits classés au tableau des stupéfiants, s’oppose à toutes les initiatives d’information et punit les citoyens qui veulent ouvrir le débat sur les « drogues », sans banaliser ni diaboliser celles-ci.
On ne peut que dénoncer fermement cette volonté de proscrire toute réflexion critique et la pluralité des opinions par la limitation du droit d’expression et de l’accès à l’information.
Pour mettre enfin le citoyen au cœur d’une véritable politique d’information, d’éducation et de prévention, il faut pouvoir ouvrir publiquement et sereinement le débat sur la loi de 1970.
La LDH demande donc l’abrogation de l’article L630.
Le 28 avril 1999
Notes
[1] Référence : LDH- Dossiers & documents n° 29 mai/juin 1996, page 36.
Voir également : « Pour une révision de la loi de 1970 », Hommes et Libertés, octobre-novembre 1996.
Texte transcrit sur cette page le 7 décembre 2010.