Les groupes d’auto-support d’usagers de drogues

 Revue Toxibase

Définition – Concepts et Historique des groupes d’auto-support

Résumé

« Cet article est constitué de deux parties. La première est une synthèse de l’histoire, du rôle et des fonctions des groupes d’auto-support sur le plan international (A. Toufik) ; la seconde (M. Jauffret), réalisée à partir d’un travail de recherche en cours, présente deux modèles de groupes d’auto-support et d’entraide : le groupe ASUD et Narcotiques Anonymes (NA). L’objectif de ASUD vise à développer l’identité commune des usagers, à militer contre la répression et à être reconnu comme partenaire et expert à part entière dans la lutte contre le sida. L’objectif de NA est l’abstinence totale des usagers et l’adoption de comportements individuels grâce à une approche communautaire de soutien individuel, ceci dans une logique d’indépendance et de fermeture du groupe vis-à-vis de toute contribution extérieure. Les groupes d’auto-support peuvent être rattachés historiquement, d’une part, au modèle américain, naissance de NA dans les années 50, et apparition des modèles cliniques associant les usagers à leur traitement ; d’autre part, au modèle hollandais des Junkiebonds dans les années 80. Depuis l’apparition du Sida la nature des groupes s’est transformée et se fonde sur trois concepts : éducation par les pairs, auto- support (action collective), auto-organisation (entraide mutuelle). Le développement du mouvement en Europe (création de l’association EIGDU) est analysé ainsi que les fondements théoriques du rôle de l’auto-support dans la prévention. Ce dossier présente deux bibliographies TOXIBASE de 18 et 9 références. »

I. INTRODUCTION

Durant ces dernières années, quelques dizaines de groupes d’auto-support (« self-help groups ») d’usagers de drogues ont vu le jour partout en Europe. Devant l’extension rapide de l’épidémie de VIH parmi la population des usagers de drogues, d’une part, et, d’autre part, devant l’extrême difficulté de faire de la prévention au sein d’un groupe social clandestin, les pouvoirs publics se sont trouvés devant une situation contradictoire : la drogue est interdite ainsi que son usage, ce qui renvoie les usagers à la clandestinité, alors que la nécessité de stopper rapidement l’épidémie requiert au contraire la visibilité du même groupe comme condition indispensable pour que le message préventif atteigne sa cible.

Résoudre cette contradiction nécessitait l’élaboration de plusieurs modèles pour tenter de concilier la prohibition des drogues et les besoins impérieux de la prévention.

Les Pays-Bas et le Royaume-Uni sont les deux pays d’Europe qui ont le plus essayé d’apporter des réponses à cette contradiction. Ils ont élaboré un ensemble de politiques cohérentes basées sur un nouveau principe : la réduction des risques (« harm reduction policies »).

Les axes principaux (Toufik 1992a) de cette politique sont les suivants :

• Des programmes massifs de maintenance aux produits de substitution, essentiellement la méthadone.

* Sociologue Pôle Recherche, Centre Régional d’Information et de Prévention du Sida (CRIPS) Ile-de-France 192, rue Lecourbe – 75015 Paris

• La recherche de nouvelles procédures de travail social : le ciblage systématique des populations difficiles à atteindre (« outreach work ») et l’éducation par les pairs (« peer education »).

• Soutien aux groupes d’auto-support existants (« self help groups »), ou encouragement à leur formation s’ils n’existent pas encore.

Ces trois axes de travail, tout en visant des objectifs différents, sont complémentaires dans leur finalité :

L’éducation par les pairs vise au changement du comportement individuel.

Les programmes de méthadone visent au changement de style de vie, principalement à la sortie de la clandestinité.

L’auto-support vise à changer les normes dans la sous-culture de la drogue par une action « de l’intérieur ».

 

II. DEFINITION DE L’AUTO-SUPPORT

L’auto-support (self-help) est un terme générique qui recouvre des réalités qui doivent être distinguées. Dans son acception générale, le terme désigne selon De Katz et Bender (D. N. Nurco, P. Stephenson et al., 1990)“un regroupement de personnes volontaires, issues de la même catégorie sociale, des « pairs », en l’occurrence des usagers de drogues, réunis dans le but de s’offrir une aide mutuelle et de réaliser des objectifs spécifiques : satisfaire des besoins communs, surmonter un handicap, résoudre un problème social auquel le groupe est confronté dans son ensemble.

A la base il y a un constat : les besoins de la catégorie sociale à laquelle le groupe appartient ne sont pas ou ne peuvent pas être satisfaits par ou au travers des institutions et mécanismes sociaux existants, d’où la nécessité de l’auto-organisation.

Outre l’aide matérielle et relationnelle, l’Auto-support peut aussi viser à promouvoir des idéologies ou des valeurs au travers desquelles les membres forgent et acquièrent une nouvelle identité. Il offre souvent à ses membres une tribune, soit pour informer l’opinion publique sur le problème concernant le groupe ou pour corriger des idées fausses.”

La participation des usagers des drogues à la prévention à trois dénominations différentes : éducation de pairs, auto-support et enfin auto-organisation. Ces trois concepts partagent en commun la même idée de base : les toxicomanes ont les ressources nécessaires, la capacité de trouver par eux-mêmes et pour eux-mêmes, les réponses adéquates aux problèmes auxquels ils sont confrontés. L’éducation par les pairs aura donc le sens d’auto-éducation, l’auto-support, le sens d’entraide au niveau individuel, et enfin l’auto-organisation, le sens d’entraide au niveau collectif.

La définition de Katz et Bender ne fait, cependant, aucune distinction, entre auto-support et auto-organisation. Les deux concepts seraient, donc, interchangeables.

Or, ces deux concepts, non seulement, ne sont pas synonymes mais ne sont pas de la même nature.

Le concept de self-help (auto-support) désigne le processus par lequel un groupe ou une communauté, employant ses propres ressources, parvient à résoudre un problème spécifique. Il s’oppose, sans l’exclure, à l’assistanat, et accorde peu de place à l’intervention d’éléments extérieurs.

L’auto-organisation, en revanche, n’est qu’une modalité du processus de self-help. L’autre Auto-suppport et éducation par les pairs modalité est l’entraide individuelle, informelle ou formelle comme c’est le cas des groupes de soutien (support).

L’éducation par les pairs, « peer education » en anglais, aussi appelée « éducation horizontale », est une méthode d’intervention sociale qui stipule que les membres issus d’un groupe ou d’une communauté donnés, sont, de par leur connaissance des codes, des langages et de la psychologie desdits groupes et communautés, les plus aptes à éduquer les membres de ces groupes ou communautés dans le sens requis. Cela s’applique à toutes les communautés : toxicomanes, homosexuels, prostitués, groupes ethniques, etc.

Ce type de pratique est très utilisé en direction des groupes stigmatisés pour certaines questions sensibles, où l’intervention des éléments extérieurs (travailleurs sociaux) peut être perçue par le groupe comme une désignation de celui-ci comme constituant une communauté « à problème ».

L’éducation par les pairs fait partie intégrante de la philosophie de l’auto-support. Cependant, cette philosophie, en tant qu’auto-organisation de groupe, comporte d’autres éléments caractéristiques qui la font différer sensiblement de l’éducation par les pairs. Ce ne sont plus quelques éléments qui en éduquent d’autres, mais c’est la communauté elle-même qui prend conscience de son existence en tant que groupe identitaire distinct, capable de produire lui- même les changements souhaités.

Une autre différence est relative au but poursuivi. L’éducation par les pairs vise au changement dans le comportement individuel, alors que l’auto-support vise aussi et surtout au changement dans le style de vie de l’ensemble et de la sous-culture considérée : changer les « normes de risques », autrefois hautement valorisées par cette culture, en « normes de réduction des risques ».

III. ORIGINES DE L’AUTO-SUPPORT

Selon certains auteurs (BLANC B. et al 1986) le vocable self-help aurait été créé en 1945 au Colonial office de Londres. L’administration britannique reprit les principes et méthodes du self-help en vue de les appliquer à l’éducation des masses indiennes. Toutefois, le terme de self- help désignait plus à l’époque une approche communautaire qu’une approche identitaire.

Le mouvement de self-help des usagers de drogues actuel trouve son origine dans deux modèles différents – chronologiquement antérieur au Sida – qu’on appellera le modèle américain et le modèle hollandais (Toufik 1993).

1. Le modèle américain

Pour ce qui est du modèle américain, David Nurco (1981) souligne que le développement rapide du mouvement de self-help aux Etats-Unis est intimement lié aux valeurs individualistes, volontaristes, et anti-étatiques américaines, qui sont le reflet de la manière dont les gens doivent résoudre leurs problèmes (« do it yourself! »). La limite du self-help réside dans la prise en compte de l’individu en tant que cause exclusive de ses problèmes. En effet, elle néglige des causes qui pourraient lui être extérieures, donc par conséquent des moyens de les traiter qui ne reposeraient pas sur une action de la personne.

Narcotic anonymous

Les Narcotiques Anonymes furent les premiers groupes self-help à l’intention des usagers de drogues. Fondés au début des années 50 par des membres des Alcoholics anonymous et calqués sur les structures et l’organisation de celui-ci, ils en reprendront aussi le principe : une prise de responsabilité par le sujet de ses propres problèmes. L’aide doit venir de la personne elle-même suivie d’un accompagnement et du soutien de ceux qui souffrent des mêmes

problèmes. Enfin, cette méthode passe par un rejet de tout soutien extérieur, qu’il soit gouvernemental, institutionnel ou professionnel.

Medical self-help.

Ce courant est appelé aussi « after care/relapse prevention ». Il s’agit là de groupes formés par des professionnels faisant partie du traitement, afin d’éviter les risques de rechute après les sevrages physiques et pour les clients des programmes de maintenance à la méthadone.

On peut identifier deux variantes de ce modèle :

La R.T.S.H. (Recovery Training and Self-Help)

qui consiste (NIAD 93, Mc Auliffe et al.1986) en un stage de postcure d’une durée de six mois à l’intention des toxicomanes. Le programme est composé de quatre parties : a) une session formelle qui a lieu deux fois par mois, elle est animée par un professionnel et un ex-usager ; b) une session de self-help hebdomadaire animée par l’ex-usager sans la présence du professionnel ; c) des week-ends d’activités récréatives ; d) un réseau de soutien entreprenant une action axée sur le long terme.

Le C.G.S.H. (Clinically Guided Self-Help)

Il concerne uniquement des patients déjà stabilisés par la méthadone (Nurco D. et al., After care relapse prevention and the self-help movement, 1991). Ces patients doivent former leur groupe en fonction de leurs besoins et intérêts. Dans ce modèle le rôle des staffs cliniques est déterminant. L’existence de ce modèle repose sur le fait que beaucoup des individus substitués à la méthadone se trouvent dans une situation où leur vie est structurée autour du programme de substitution, sans pour autant avoir des contacts réels avec d’autres membres de la société, exception faite de leur pairs. Le but du programme est donc de développer les compétences nécessaires pour rendre ces contacts possibles avec des personnes extérieures à la communauté.

2. Le modèle hollandais

Quant au modèle hollandais, il s’agit du mouvement des junkiebond qui a occupé l’avant scène de la drogue durant les années 80. Contrairement au modèle américain, les junkiebond sont nés hors du champ médical et quelques fois en opposition à celui-ci. Par ailleurs, à la différence du Narcotic anonymous, les fondateurs ne sont pas des ex-usagers et ils ne prônent pas l’abstinence bien au contraire, ils revendiquent le droit des usagers à la libre gestion de leur corps et de leur vie. on trouvera une descritption détaillée de l’historique des Junkiebond dans la partie VII de cet article.

L’ébauche des travaux de recherches psychologiques et sociologiques sur le self-help dans le domaine de la santé et de la maladie est relativement récente. En effet, jusqu’à la deuxième moitié des années 70, peu d’attention fut prêtée au mouvement de self-help alors en plein développement. Autour de cette période, aussi bien les professionnels de la santé que les chercheurs en sciences sociales aux Etats-Unis ont pris conscience des ressources que laissait entrevoir cette méthode. La potentialité du self-help est ainsi reconnue comme un prolongement efficace des soins afin d’améliorer la qualité des services par une plus forte implication des patients eux-mêmes. Le tournant décisif de la recherche sur ce sujet se situe au moment de la publication, en 1978, du rapport de la Commission of mental health. (1) (Morton et borman, 1982).

Le premier travail scientifique est celui de Morton et Borman (1982) intitulé « Self-help groups for coping with crisis. » Ce travail porte sur quatre groupes de dimension nationale, il s’agit du « Mended hearts » qui est un self-help group pour des personnes ayant subi une opération à cœur ouvert ; du « Women’s consciousness raising group », et du « compassionate friends » qui rassemblent des parents ayant perdu des enfants ; et enfin du « Naim » destiné aux veuves.

Aux Pays-Bas, si le mouvement des junkiebond a entraîné beaucoup de débats sur la scène politique et médiatique, il ne semble pas en revanche qu’il ait suscité beaucoup d’intérêt dans le champ de la recherche. En effet une seule thèse a été consacrée à ce sujet 2.

IV. OBSTACLES A LA FORMATION DES GROUPES D’AUTO-SUPPORT

S’organiser en tant que groupe identitaire autonome n’est pas en soi une chose facile. S’organiser en tant que groupe stigmatisé et réprimé est encore plus difficile. La réussite d’une telle organisation est conditionnée par la capacité de ses membres fondateurs à surmonter certains obstacles relatifs à toute organisation naissante (S. R. FRIEDMAN – Collectif – 1987) : formuler des objectifs, élaborer une stratégie et fixer des moyens pour y parvenir, moyens humains et matériels, leadership.

Quant aux usagers de drogues eux-mêmes, il existe des obstacles supplémentaires qui méritent d’être mentionnés et discutés.

1. Au niveau individuel

Obstacles propres aux usagers eux-mêmes et à leur micro-société :

• La dépendance au produit

S’organiser demande du temps et une attention difficile à assurer par les usagers. Les effets du produit et les conditions du marché de la drogue — trouver l’argent nécessaire, trouver le produit, etc. — et la « galère » qui en découle, absorbent beaucoup d’énergie, moralement et physiquement. Cette dépense d’énergie laisse peu de temps pour toute autre préoccupation et encore moins pour l’organisation. Cela est particulièrement vrai pour les utilisateurs de produits injectables, et notamment l’héroïne.

• Les conditions de survie matérielles

L’usager actif type dépense généralement la plupart de ses ressources et revenus pour se procurer les produits dont il a besoin pour sa consommation journalière. Les ex-usagers, eux, sont souvent sans formation et sans emploi et n’ont pas non plus les ressources suffisantes pour apporter une aide financière et matérielle au groupe d’auto-support. L’autofinancement se trouve ainsi dans l’impasse du fait du manque de fonds et de moyens.

Un financement extérieur peut éventuellement débloquer la situation, mais cette solution n’est pas sans inconvénients. Elle implique de faire des concessions sur les revendications et les objectifs, qui pourraient finir par rendre suspecte l’indépendance du groupe aux yeux des usagers « de base ».

Par ailleurs, le fait que les usagers de drogues ne soient pas considérés comme des personnes dignes de confiance en matière de gestion des fonds, associé au manque d’expérience de la vie communautaire organisée, attribuent la plupart du temps l’organisation aux professionnels, vécus comme étant les seuls capables d’assumer ce type de responsabilités.

• L’organisation sociale et la culture des usagers de drogues

L’organisation sociale des usagers de drogues actifs tourne principalement autour du marché de la drogue. Les rapports entre dealers, revendeurs, et consommateurs sont gérés en fonction des conditions imposées par ce marché. Or, à chaque étape, à chaque moment et à chaque coin de rue, chacun de ces protagonistes présente un danger potentiel pour les autres.

La clandestinité dans laquelle vivent les usagers de drogues impose à son tour un type de rapports humains dominé par la méfiance réciproque et, souvent, le manque de solidarité.

Bien plus, dans ce contexte, l’organisation proposée pour faire face au danger du sida est en partie perçue comme une valeur négative, en opposition avec les valeurs positives de la sous- culture : affronter le danger.

• L’intégration de l’image sociale stéréotypée du « toxicomane »

En termes d’organisation, cette intégration est peut-être la plus difficile à surmonter. L’usager méprisé, humilié, infantilisé ne croit plus en lui-même ni dans ses « pairs ». Il se donne, peu ou pas du tout, le droit à la parole. Il agit dans certains cas comme une victime, mais bien plus souvent comme un coupable qui mérite le sort qui lui est réservé.

Prendre la parole, s’organiser, agir comme un citoyen ayant des droits et des devoirs est une étape difficile à franchir.

2. Au niveau sociétal

L’usage de drogues est l’objet d’une répression au niveau légal et d’une stigmatisation sociale. L’organisation autonome des usagers de drogues est ainsi l’objet de nombreux écueils : harcèlement policier, poursuites judiciaires, hostilité de la presse et de l’opinion publique.

Quant aux institutions de soins spécialisées dans le traitement de la drogue, la question peut se poser du principe et des modalités éventuelles de leur soutien à l’organisation autonome des usagers de drogues.

Par ailleurs, certains usagers de drogues investis dans l’auto-support voient, à tort ou à raison, dans les institutions de soins des ennemis de la sous-culture de la drogue et craignent qu’elles leur soient hostiles ou bien essayent de les récupérer en les utilisant comme partenaires mineurs sous tutelle.

V. TYPOLOGIE DES GROUPES EXISTANTS EN EUROPE

On peut dresser une classification des principaux groupes d’auto-support européens par l’examen des sept caractéristiques suivantes :

1) Groupes d’intérêt et groupes de support

Les différences se situent à la fois dans le but recherché et les moyens mis en œuvre pour y parvenir.
Tandis que les groupes de support offrent un soutien matériel ou psychologique aux usagers ou ex-usagers en tant qu’individus, les groupes d’intérêt privilégient les activités liées aux conditions de la répression, de la stigmatisation, de l’accès aux soins et des droits sociaux dans la communauté dans son ensemble, et ce, au travers d’actions qui sont profitables à ses membres de manière directe ou indirecte.

Cependant le partage entre « support » et « intérêt » n’est pas toujours aussi évident. Les exemples de groupes qui tentent de mener leurs actions sur les deux fronts sont nombreux, par exemple MDHG à Amsterdam ou ASUD en France.

2) Les préoccupations relatives à l’usage de drogues

  • Empêcher la rechute des ex-usagers, par exemple Narcotiques Anonymes.
  • Soutenir l’usager actif, par exemple Junkiebond de Rotterdam.
  • Aider ceux qui veulent s’arrêter comme ceux qui veulent continuer, par exemple San Severoen Italie.
  • Soutenir les usagers substitués à la méthadone, par exemple Fixepoint à Berlin.

 

3) Les préoccupations relatives au VIH

Faire de la prévention primaire de l’infection au VIH à l’égard de tous les usagers de drogues, par exemple ASUD de Paris.

Réserver le groupe aux seuls usagers séropositifs pour un soutien psychosocial, par exemple Grupo de Auto-Apoyo de Madrid.

4) La taille du groupe

Groupes locaux, dont les activités se limitent souvent à une ville. Ces groupes sont en règle générale uniquement impliqués dans les activités de terrain, dans les activités d’auto-support de soutien individuel.

Groupes nationaux, qui sont souvent des groupes d’intérêt et complètent ainsi les activités de terrain et de soutien individuel aux usagers par des activités propagandistes à l’échelle nationale ou internationale, par exemple JES en Allemagne, ASUD en France, Mainliners en Angleterre, LILLA en Italie.

5) Le type de produit consommé

Quel que soit le produit consommé par les membres du groupe.

Présence des seuls usagers de drogues dures (MDHG et Junkiebond de Rotterdam).

Consommateurs de cannabis (CIRC, France).

Consommateurs d’ecstasy (TECHNO +, France).

Usagers de produits de substitution (Fix Point Allemagne et SAS en France).

6) La place des non-usagers dans les groupes

Groupes exclusivement réservés aux usagers de drogues (ASUD, Mainliners, N.A).

Groupes mixtes d’usagers et de non-usagers, professionnels ou non, comme les partenaires (Auto-apoyo de Madrid et MDHG d’Amsterdam).

7) Le rôle et la place du professionnel

Le rôle accordé aux professionnels dans le groupe fournit aussi un critère de classification des groupes d’auto-support.

Certains groupes existent et fonctionnent par l’intervention directe des professionnels, qui peut elle-même prendre des formes diverses :

• Soit dans un but thérapeutique et de soutien psychologique : il s’agit de groupes locaux, comme des groupes de séropositifs et malades du sida qui fonctionnent sur le principe des groupes de parole, que l’on rencontre fréquemment en France ou ailleurs ; de même les groupes organisés dans le but d’empêcher la rechute après un sevrage (méthode plus utilisée en Amérique qu’en Europe).

  • Soit une participation active dans la formation et la gestion des activités, comme le MDHG d’Amsterdam, dont le coordinateur était et est toujours un professionnel.
  • Soit le professionnel impulse le mouvement et catalyse les énergies dans le but de former le groupe, mais se retire une fois le groupe formé et transforme son rôle en celui de soutien extérieur ou facilitateur ; c’est le cas du groupe ASUD de Paris.
  • Soit les professionnels ne jouent aucun rôle, ni dans la formation, ni dans la gestion, par exemple Narcotiques Anonymes.

 

VI. AUTO-SUPPORT ET GESTION D’UNE IDENTITE STIGMATISEE

Former un groupe d’auto-support d’usagers de drogues est, en quelque sorte, la revendication d’une identité.

La genèse d’un groupe d’auto-support d’usagers de drogues se déroule habituellement, pour la plupart des personnes qui l’entreprennent, suivant un processus que l’on peut décrire en trois étapes :

1) La stratégie individuelle « Je ne suis pas toxicomane, je suis comme tout le monde »

2) La stratégie collective, épouser son stigmate : « Nous sommes des toxicos et nous ne sommes pas comme les autres ». Cette étape est caractérisée, dans sa transposition au niveau individuel, par l’affirmation suivante ; « Je suis une personne qui, bien que dépendante et utilisatrice d’un produit par voie intraveineuse interdit par la loi, se considère comme un citoyen à part entière. J’affirme ma différence mais je revendique le respect et la possibilité d’une prise de responsabilité face à la société. »

Il arrive un moment où certains membres de la communauté réalisent la limite de la stratégie individuelle. Ils réalisent également que le moyen le plus adéquat est l’auto-organisation. Mais celle-ci les oblige à revendiquer leur stigmate comme identité.

La manifeste du groupe ASUD (1992) a bien exprimé ce dilemme : « La mort dans l’âme », « nous sommes amenés aujourd’hui, certes avec détermination, à devoir, pour notre simple salut, mettre en avant notre statut de « toxicomane » que l’on nous impose. Sachant, au plus profond de nous mêmes, que la revendication de cette identité est le seul moyen vital que nous ayons trouvé pour qu’un jour, enfin libérés, nous puissions aller au-delà de la stricte nécessité de toute identité, pour devenir alors, ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être: citoyens comme-tout-le-monde, à part entière, avec ou sans drogue. »

3) Le dépassement de l’identité stigmatisante : « Nous sommes des toxicos et nous sommes comme tout le monde. »

Le dépassement de l’identité stigmatisante s’opère lorsque les deux autres étapes, surtout la deuxième, sont franchies. Cette troisième étape vient alors comme un aboutissement. Une fois que le but recherché est atteint, paradoxalement, on ne revendique plus d’être différent mais on considère cette différence comme secondaire par rapport à ce qui nous réunit avec les autres. Il est à souligner que ce dépassement n’est possible que lorsque la revendication de l’identité stigmatisante est satisfaite, c’est-à-dire reconnue par les autres comme telle. Le dépassement se réalise lorsque le stigmate d’origine n’est plus considéré comme tel. Le groupe anéantit ainsi sa raison d’être.

VII. GENESE ET DEVELOPPEMENT DU MOUVEMENT EN EUROPE (Toufik 1997)

L’Auto-support modèle “Drogue”

Le premier Junkiebond est formé en 1980 à Rotterdam. Le Rotterdam Junkiebond est constitué en réponse concrète à un projet díinstauration d’un système de soins obligatoire pour les toxicomanes. Sa formation fut l’étincelle qui déclencha la formation des organisations similaires dans presque toutes les villes hollandaises. Les six années? entre 1981 et 1987? ont vu naître et mourir une quarantaine de ces Junkiebonds dont la durée de vie oscillait entre un et trois ans. C’est pourquoi, dans certaines villes plusieurs groupes se succédèrent.

Avec la formation de la Fédération des Junkiebonds, organe de coordination et de représentation, les usagers des drogues ont su donner une dimension nationale à leur mouvement.

Le mouvement atteint son apogée lorsque le Parlement adopte une motion présentée par le Parti socialiste pacifiste, qui stipule que le gouvernement hollandais doit se concerter, en matière de politique de la drogue, avec la Fédération des Junkiebond. Les bases de ce que sera le modèle hollandais reposeront désormais, sur l’action conjointe des pouvoirs publics et d’un partenaire d’un genre nouveau : le toxicomane.

Les six années 1981-1987, sont à la fois les années de gloire du mouvement et en même temps celles qui annoncent son déclin : en effet, comme acteur politique l’auto-organisation des junkies ne survivra en tout et pour tout que dix ans. De multiples facteurs peuvent expliquer sa disparition. Le principal est que le mouvement des Junkiebonds eut comme raison d’être les conditions déplorables des toxicomanes dans leurs pays : carence du système de soins, répression, stigmatisation sociale, etc. Le partenariat entre les pouvoirs publics et les junkiebonds, en l’espace de quelques années, a ainsi permis d’instaurer une sorte de modus vivendi acceptable par tout le monde, usagers des drogues compris. Ce modus vivendi s’est concrétisé par des mesures de réduction des risques, notamment par la généralisation des programmes de substitution à “bas seuil” et du système de prise en charge sanitaire et sociale, déjà le plus développé d’Europe. Un partenariat avec la police, situant cette dernière davantage comme une pièce maîtresse du dispositif global de santé publique que comme une force de répression, fut mis en place. Objectivement, toutes les revendications du mouvement furent donc satisfaites. De surcroît, elles sont devenues la politique officielle du pays en matière de drogue. Les Junkiebonds par leur propre action ont, pour ainsi dire réduit à néant leur raison d’être.

L’Auto-support modèle “Sida”

Quel que soit le pays, l’auto-organisation des usagers, concomitante à l’apparition du Sida, a peu en commun avec celle qui a survécu à la période antérieure à l’épidémie. Quatre différences essentielles, peuvent être évoquées. La première est relative à l’Affirmation identitaire à travers le choix du nom des groupes. Tandis que des groupes font d’emblée le choix de noms qui soulignent leur affiliation directe au mouvement du lutte contre le Sida, des groupes préexistants à l’épidémie modifient leur noms, opérant ainsi une sorte de rupture avec leur propre histoire trop marquée par la drogue. Ce faisant, ils s’inscrivent, ainsi, à leur manière dans la mouvance large du Sida.

La deuxième différence se situe au niveau du champ d’action. Les groupes d’auto-support antérieurs au Sida – “modèle drogue”- y compris ceux qui effectuaient des actions de terrain, se définissaient essentiellement, comme étant des mouvements revendicatifs politiques, reconnus, financés comme tels par les pouvoirs publics. Les groupes d’auto-support — modèle Sida — postérieurs à l’émergence de l’épidémie, même s’ils effectuent, par ailleurs, des actions revendicatives et politiques, se définissent essentiellement comme des acteurs sur le terrain, et sont reconnus et financés uniquement comme tels par les pouvoirs publics.

La troisième différence est relative au rôle des groupes. Les nouveaux groupes sont appelés à assumer des responsabilités nouvelles. Des tâches inexistantes ou très marginales pour le “modèle drogue” sont aujourd’hui au cœur des activités du “modèle Sida”. Ces groupes initient, participent aux multiples actions de prévention, programmes d’échanges de seringues, diffusion dans la rue des messages préventifs à l’aide de supports écrits comme les journaux, les brochures, les affiches, etc.

La dernière différence entre les deux modèles concerne le degré d’autonomie du groupe. En terme de ressources, tant humaines que matérielles, l’auto-organisation du type Junkiebond, se distingue par sa grande autonomie. Elle est composée quant aux ressources humaines, presque uniquement d’usagers, des sympathisants, des éléments extérieurs, certes, y participent, mais cette participation se limite aux tâches d’infrastructure sans pouvoir décisionnel. Pour ce qui est des ressources matérielles, les Junkiebonds ne reçoivent aucune subvention ou juste de quoi couvrir les frais de fonctionnement. Les leaders et les cadres ne sont pas rémunérés, le militantisme bénévole est la règle. A l’inverse, les groupes d’auto-support modèle Sida représentent un modèle opposé ; les ressources humaines sont composites, aux côtés des usagers il y a souvent des éléments extérieurs, notamment des professionnels du secteur sanitaire et social. Ces professionnels jouent un rôle capital, aussi bien dans la formation de ces groupes que dans leur gestion. En outre, en matière de ressources matérielles, les groupes du modèle Sida reçoivent des financements et les usagers qui y participent se professionnalisent, ils sont souvent rémunérés.

1. Les conditions objectives de l’émergence des groupes d’auto-support en Europe

Pour qu’un groupe social donné s’auto-organise, des intérêts communs ne sont pas suffisants. Il lui faut un facteur extérieur qui soude les liens entre ses membres, donne un sens à son combat, en un mot : un ennemi ou un “facteur unificateur extérieur”.

Ce facteur unificateur se représente sous la forme d’une équation : répression/tolérance en matière de politique des drogues et du Sida. Lorsque la pression est très forte, le facteur unificateur existe mais les usagers sont en situation anomique. L’auto-organisation est extrêmement problématique, donc peu probable. Exception faite des Pays-Bas et du Royaume- Uni, c’est le cas de tous les pays d’Europe durant la période antérieure à l’apparition du Sida. Lorsque la pression est très faible, le facteur unificateur n’existe pas car l’ennemi n’est pas facilement identifiable. La capacité de mobilisation est faible. L’auto-organisation est possible mais peu probable. C’est la raison qui peut expliquer la disparition du mouvement du junkiebond aux Pays-Bas et les difficultés d’émergence d’autres groupes. Cela peut expliquer également le retard de formation de l’auto-organisation des usagers au Royaume-Uni ; en effet, ils ne sont apparus que quelques années après le Sida. Lorsque la pression est ni très forte ni très faible, le facteur unificateur existe, l’ennemi extérieur est identifiable (répression) et les usagers sont en situation de stabilité relative (substitutions) propice à l’auto-organisation. La France et l’Allemagne sont aujourd’hui représentative de cette situation.

Le développement extraordinaire du mouvement de l’auto-support dans ces deux pays s’explique par des causes en apparence contradictoires : d’une part, une politique policière répressive en matière de drogue, qui se manifeste, entre autres, par la destruction des scènes ouvertes dans les villes où elles sont plus ou moins tolérées. D’autre part, une politique de santé publique qui se manifeste par une mise en oeuvre d’un ensemble de mesures qui s’inscrivent dans la droite ligne de l’approche de réduction des risques, notamment les programmes de substitution à la Méthadone. La répression représente l’ennemi, facteur unificateur indispensable à toute mobilisation et auto-organisation. Les mesures de réduction des risques dotent les usagers des moyens -matériels et humains- nécessaires à la naissance et au développement de cette auto-organisation.

2. Le réseau européen des groupes d’auto-support (EIGDU)

A l’initiative du groupe d’auto-support allemand J.E.S. (« Junkies, Ex-junkies, Substitutes »). 30 usagers de drogues de sept pays européens se sont réunis en congrès à Berlin, en décembre 1990.

Ce premier congrès se donna pour tâche de développer un réseau européen des groupes d’auto- support existants et de stimuler la formation de tels groupes dans les pays où il n’en existait pas (Toufik 1992b)

Pour y parvenir, EIGDU se fixa quatre objectifs principaux :

  • Accélérer la mise en place des politiques et projets de réduction des risques.
  • Provoquer la renégociation des conventions internationales relatives à la drogue, en vue de donner la priorité à la lutte contre le sida au lieu de la « guerre à la drogue ». Une guerre qui, pensaient-ils, limite à bien des égards les efforts de prévention du sida.
  • Faciliter l’accès aux soins des usagers vivant avec le VIH, séropositifs ou malades, surtout ceux qui sont incarcérés.
  • Etre reconnus par leurs gouvernements respectifs comme partenaires privilégiés pour tout ce qui concerne la prévention du sida dans leur communauté.

EIGDU se donne pour tâche à la fois d’organiser les usagers de drogues dans les pays où ils ne sont pas encore organisés, en vue de faire pression sur les décideurs : se constituer là où cela est possible, à l’échelle locale, nationale ou européenne, en groupe de pression et de lobbying.

Concrètement trois projets ont été mis en chantier, le premier est la préparation d’une déclaration européenne qui sera adoptée au 2ème Congrès, réunissant 49 participants à Berlin en décembre 1991. Les principales revendications de cette déclaration portent sur la facilitation de l’accès aux soins des personnes atteintes et le renforcement de la prévention du VIH chez les usagers.

Le deuxième projet fut de doter le réseau d’une existence légale et d’une structure permanente, avec un secrétariat dont le siège est fixé à Amsterdam. C’est ainsi qu’au 2ème Congrès un Bureau (« General Board ») fut élu afin d’assurer la continuité du travail.

Le troisième projet fut de préparer un mémorandum EIGDU (1993) sur la situation des usagers de drogues dans les douze pays de la Communauté Européenne et les Pays de l’Est

Depuis 1992, un Réseau mondial d’auto-support d’usagers de drogues (« Drug Users International Network ») s’est aussi constitué à l’occasion de la 3ème Conférence Internationale sur la réduction des risques pour ces mêmes usagers (Melbourne, Australie), auquel EIGDU a adhéré, notamment avec des groupes d’Australie et des Etats-Unis.

Actuellement, faute de moyens, EIGDU n’a plus d’activités spécifiques ni de réunions, les représentants des groupes nationaux se contentent de se réunir à chaque conférence annuelle sur la éduction des risques. La dernière réunion a eu lieu, à líinitiative d’ASUD, à Paris en mars 1997.

 

VIII. LES FONDEMENTS THEORIQUES DU ROLE DE L’AUTO-SUPPORT DANS LA PREVENTION

Les fondements théoriques du rôle de l’auto-support dans la prévention sont basés sur un postulat selon lequel son impact est d’autant plus efficace lorsque la stratégie de prévention intègre les trois dimensions suivantes :

Le comportement individuel (l’individu) ;

Le style de vie (le groupe) ;

La sous-culture de la drogue (représentations sociales).

Si le premier point peut partiellement être réalisé par la prévention conventionnelle au niveau de l’individu isolé (médias, plaquettes, etc.), les deux autres ne peuvent être réalisés que si le groupe social visé est lui-même partie prenante active dans un tel changement.

  • L’expérience accumulée par la communauté homosexuelle en matière de réduction de risques de l’infection à VIH, en comparaison avec celle des usagers de drogues, illustrera cette idée.La transmission du VIH chez les usagers de drogues résulte plus d’un comportement social que d’un comportement individuel : partager les matériels d’injection ou avoir des rapports sexuels. Prévenir le sida demande donc un changement dans le comportement social (inter-personnel) des usagers. Ces changements affectent l’ensemble des rapports de la personne avec ses partenaires.Dans ce cadre, toute action visant au changement dans le comportement individuel des usagers sera inadéquate si elle n’est pas accompagnée de changements similaires chez les autres partenaires et acceptée comme telle par eux. Autrement dit, on est prêt à changer soi-même de comportement si l’entourage et les pairs ont déjà changé leur comportement ou sont sur le point de le faire (J. J. PLATT & C. KAPLAN-1990). Le changement de comportement social du groupe produit alors un changement du comportement individuel.

    Partager les seringues par exemple n’est pas toujours le résultat du manque de seringues stériles ni le résultat de l’ignorance des modes de transmission du VIH. Le comportement individuel tend souvent à s’aligner sur les normes dominantes dans le groupe des pairs, ou sur la sous- culture à laquelle l’individu appartient.

    Les usagers de drogues ne sont pas, à ce niveau, différents des homosexuels. Par contre, la différence entre les deux groupes est tangible au niveau du soutien social pour le changement de comportement que chacun reçoit de son propre groupe.

    Pendant les vingt dernières années, les homosexuels ont construit un ensemble d’organisations politiques, sociales et communautaires. Ceci en dépit de l’hostilité et de la répression légale dont ils ont pu faire l’objet. Ces organisations et associations, avec leurs journaux, leur lobbying et leurs lieux de convivialité, ont servi de support pour élaborer des réponses individuelles et collectives et faire face à la menace du sida. Elles ont donc largement contribué au soutien des approches individuelles (W. M. de JONG-1990).

    Les usagers de drogues, par contre, n’avaient aucune organisation formelle en France et dans d’autres pays, et leurs modes de vie ne furent aucunement adaptés pour assumer une tâche similaire à celle des homosexuels; c’est-à-dire qu’ils n’étaient ni en mesure d’opérer un changement significatif de comportement au niveau individuel, ni de s’investir dans une action collective.

    Quoiqu’ils représentent le deuxième groupe confronté au risque de contamination, juste après celui des homosexuels, les usagers des drogues ont apporté des réponses en termes de mobilisation et en termes d’efficacité qui, même lorsqu’elles existent, sont loin d’être comparables à celles des homosexuels.

    Pour expliquer cette différence, plusieurs hypothèses sont possibles. Tout d’abord le rapport de la société à l’homosexualité n’est pas le même que celui à l’usage des drogues. La sanction sociale de chacun de ces deux comportements est radicalement diffÈrente. Tandis que la sanction sociale du comportement homosexuel se limite à la stigmatisation sociale, la sanction sociale contre l’usage de drogue est composée en quelque sorte d’un « étage » supplémentaire, celui de la sanction juridique ; l’usage de drogue illicite tombe sous le coup de la loi pénale et l’usager est assimilé à un délinquant de par le fait même de son usage.

Toutefois, l’explication la plus plausible, sans établir de rapport causal, reste la pré-existence d’une forte organisation formelle et informelle dans la communauté des homosexuels et l’absence de ces mêmes sortes d’organisation parmi les usagers de drogues. Cette absence a déterminé, dans une large mesure, la rapidité, la nature et le degré de succès des réponses dans les deux communautés.

Pratiquement, cette différence organisationnelle se traduit pour la prévention du VIH par le fait que, tandis que les homosexuels furent les émetteurs et les récepteurs actifs de l’information préventive adéquate « à l’intérieur » de leur propre communauté, les usagers de drogues demeuraient des récepteurs passifs et tributaires d’organisations « extérieures » livrant des matériels non adéquats ou trop tardivement, lorsque l’épidémie avait déjà touché une proportion importante de la communauté.

L’auto-organisation homosexuelle a donc joué un rôle important dans l’introduction, puis l’adoption des normes de réduction des risques dans la sous-culture homosexuelle permettant un soutien social des tentatives individuelles pour le changement des comportements. Le soutien social de « l’intérieur » du groupe d’appartenance semble être une condition indispensable pour le changement des comportements individuels.

Tandis que les actions de prévention de l’extérieur visent à modifier certains comportements au niveau individuel, l’auto-organisation, agissant de « l’intérieur », vise, en revanche, à intégrer, généraliser et enraciner des changements dans la sous-culture de la communauté. Cette dernière devient émettrice et producteur actif de son propre modèle préventif. La communauté se positionne comme un sujet ; elle est le but et le moyen du changement désiré. Dans le modèle « extérieur », elle ne peut qu’être un objet, un récepteur, consommateur passif des informations éclatées visant à modifier certains comportements à risque. La non-prise en compte des liens organiques entre ces comportements et les autres éléments de mode de vie de la sous-culture de la drogue rend mal aisée l’intégration des comportements préventifs et, de ce fait, leur application par l’usager est problématique.

Une autre limitation à la portée de ce modèle « extérieur » résulte de la clandestinité et de la répression imposée aux usagers qui fait que ce modèle ne peut, par sa nature même, toucher qu’une partie infime de ceux auxquels il est destiné ; ce qui réduit d’autant son efficacité.

Par contre, la prévention de l’intérieur métamorphose le message préventif vers un comportement socialement valorisé par les groupes de pairs eux-mêmes. Le nouveau comportement n’est plus un objet de conflit ou de résistance. Il n’exprime plus une méfiance vis-à-vis de l’autre. Dans ce sens l’existence d’une auto-organisation formelle des usagers de drogues, l’auto-support, peut aider à introduire de nouvelles normes de réduction de risques dans la sous-culture de la drogue, ou rendre ces pratiques acceptables et opérationnelles lorsqu’elles existent déjà au niveau individuel : généraliser, enraciner, transformer ces pratiques en normes socialement valorisées par le groupe.

 

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Notes

(1) – Ce rapport fait état d’une recommandation en direction du gouvernement fédéral afin qu’il prenne des initiatives en matière de santé mentale notamment dans les domaines suivants : reconnaissance et fortification des réseaux naturels desquels les gens dépendent, comme la famille et les liens de parenté, les amis, le voisinage, les groupes de self-help et les autres associations de volontariat basées sur le principe de l’intimité et l’aide mutuelle. Une recommandation du rapport mandate les centres communautaires de santé mentale pour offrir un soutien aux groupes d’aide mutuelle et encourager d’autres organisations communautaires à la diffusion de soutiens méthodologiques pour faciliter la formation des groupes. Le rapport recommande aussi la formation de centres de formation et d’information sur le self-help dans chaque État. Il souligne aussi l’importance de la recherche de l’accroissement de la connaissance des mécanismes par lesquels le soutien social peut être efficace dans une contribution à la réduction de la détresse sous toutes ses formes.

(2) – Cette thèse n’a pas été traduite, ni publiée.

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