- Auteur.e.s :
- Anne Coppel
Une lettre de mission du 9 mars 1994 de Simone Veil, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, charge le Pr Henrion de présider une «commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie » : « Le gouvernement souhaite que cette commission analyse le dispositif actuel, sous ses trois aspects, répressif, sanitaire et social, au regard de l’ampleur prise par le fléau de la drogue en France. Le dispositif s’efforce de réaliser, comme vous le savez, un équilibre entre répression du trafic et usage des drogues illicites. La législation en vigueur remonte à 1970, date à laquelle a notamment été créée l’injonction thérapeutique : obligation de soin qui dispense le toxicomane de poursuite. Vingt-trois ans plus tard, il est nécessaire d’examiner si ce dispositif donne toujours satisfaction face à l’évolution des faits et des pratiques », écrit Simone Veil au président. La commission de dix-sept membres comprend le Pr Henrion, médecin, Mme Bernard, directrice d’un équipement social, le Dr Bloch-Lainé, médecin généraliste, M. Bouchet, chef de la brigade des stupéfiants, Mme Cotta, éditorialiste politique, le Pr David, médecin, le Pr Ferrand, psychiatre, M. Génestar, Le Journal du dimanche, le Pr Glowinski, neuropharmaco-logue, le Pr Jeammet, psychiatre, M. Jeannin, procureur de la République, Mme Lambremon-Latapie, président de chambre, Dr Lapras, médecin spécialiste, M. Leclair, chef de l’OCRTIS, M. Levy, président de Publicis, Mme Pierrelée, proviseur, le Pr Schnapper, sociologue. Le principe de cette commission était d’exclure les experts, apriori de parti pris ; ils se sont glissés néanmoins dans cette commission, avec une mission très politique pour les représentants des services répressifs : il n’était pas question de dépénaliser. La commission Henrion a rendu ses travaux le 4 février 1995, après moult péripéties. Une petite majorité de neuf membres s’est prononcée pour la dépénalisation de l’usage tandis que les membres favorables au maintien de la pénalisation se sont prononcés pour la recherche d’alternatives à l’incarcération. Les quelque quatre-vingts auditions n’ont pas été publiées ; pour l’historien, elles seront certainement un précieux témoignage du système de croyances sur lequel reposait le dispositif français, «le meilleur au monde » disait-on, le plus répressif d’Europe. À cet égard, la commission Henrion marque un tournant : elle a contribué à une prise de conscience de la nécessité de se confronter aux faits, de développer la connaissance du phénomène et l’évaluation des actions. Elle marque aussi l’entrée dans une logique de réduction des risques, l’éra-dication des drogues n’étant pas un « objectif réaliste » ; aussi la politique doit-elle avoir pour principe et pour objectif le refus de l’exclusion des toxicomanes avec toute la gamme des outils, de la prévention au traitement par la méthadone. Elle propose enfin d’ouvrir le débat sur les politiques alternatives.