Le Conseil national du sida plaide pour une politique de « réduction des risques »

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Franck NouchiLe Monde

« LE DÉBAT SUR LA POLITIQUE FRANÇAISE DE LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE »

 

Édouard Balladur a révélé, mardi 21 septembre, au cours d’une conférence de presse, les grandes lignes du programme de lutte contre la drogue que son gouvernement entend mettre en oeuvre. Il a en particulier indiqué qu’une commission, formée par Simone Veil, allait être créée afin de « réfléchir aux aspects souvent conflictuels de cette question », parmi lesquels la question de la dépénalisation de l’usage de drogue. Il a en outre précisé que 85 millions de francs seront affectés dès cette année au financement des actions entreprises – notamment les mesures sanitaires – et qu’il sera proposé au Parlement, dans la prochaine loi de finances rectificative pour 1993, d’y consacrer 35 millions de francs. Ce plan a été plutôt mal accueilli par les spécialistes de la toxicomanie. D’autre part, le Conseil national du sida, présidé par le professeur Françoise Héritier-Augé, a remis au gouvernement, lundi 20 septembre, un rapport sur  » la toxicomanie et le sida «  dans lequel il demande que la priorité des pouvoirs publics soit la prévention et la protection de la santé publique, et non la répression de l’usage simple de drogues.

 

Le Conseil national du sida, présidé par le professeur Françoise Héritier-Augé, a remis au gouvernement, lundi 20 septembre, un rapport sur  » la toxicomanie et le sida  » dans lequel il préconise une  » politique de réduction des risques « . Il demande que la priorité des pouvoirs publics soit la prévention et la protection de la santé publique, et non la répression de l’usage simple de drogues. Remis au gouvernement à la veille de la conférence de presse de M. Balladur, ce rapport est un plaidoyer en faveur de la politique dite de réduction des risques. Sans se prononcer formellement en faveur de la dépénalisation de l’usage simple de drogue, il insiste néanmoins sur le fait que la pénalisation de l’usage simple  » augmente la vulnérabilité et la marginalisation qui entre pour une large part dans les problèmes sanitaires et sociaux que rencontrent les usagers de drogues, et constitue un obstacle majeur à l’efficacité des actions de prévention engagées envers eux « . Le rapport rappelle que, le 30 juin 1993, un total de 5 787 cas de sida liés à l’usage de drogues par voie intraveineuse avaient été recensés, soit 22,6 % du total des cas de sida cumulés depuis l’apparition de l’épidémie. La fréquence de l’infection par le VIH parmi les usagers de drogues est actuellement évaluée entre 33 % et 38 % de l’ensemble de la population toxicomane (selon les services du premier ministre, il y aurait actuellement entre 150 000 et 300 000 toxicomanes en France). Les principales régions touchées sont la région Provence-Alpes- Côte d’Azur (48 % des cas déclarés dans cette région sont liés à l’usage de drogues par voie intraveineuse) et l’Ile-de-France. Le rapport rappelle que sous la pression de l’épidémie de sida,  » la plupart des pays européens ont modifié leur politique en direction des usagers de drogues par voie intraveineuse en adoptant ce que l’on appelle  » la politique de réduction des risques « . En France, les seules mesures prises en ce sens – par Mme Michèle Barzach, alors ministre délégué à la santé – furent la mise en vente libre des seringues en mai 1987 et la création de centres de dépistage anonymes et gratuits en juillet 1987. Ces mesures, indique le rapport,  » se sont immédiatement traduites par un changement de comportement parmi les toxicomanes, mais elles sont restées isolées « . Dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Suisse, les stratégies mises en oeuvre furent autrement plus ambitieuses.

Elles reposent sur :

1. La prescription de produits de substitution, en particulier la méthadone. _ Selon le Conseil national du sida (CNS), en terme de santé publique, les évaluations ont montré que ces programmes avaient  » des effets positifs incontestables : meilleure santé des patients, meilleure qualité de vie, taux plus faible de mortalité « . En terme de réduction des risques, les résultats des programmes méthadone sont en revanche plus délicats à interpréter. On ne peut pas actuellement affirmer que ces programmes ont eu un effet repérable sur l’épidémie de sida. Ainsi, New-York, ville qui a le plus développé ces programmes, est-elle aussi celle où l’épidémie a pris le tour le plus dramatique, en particulier chez les toxicomanes. En revanche, toutes les expériences montrent  » que les sujets sous méthadone, moins soumis au stress de la peur du manque, réduisent les pratiques d’injection à risque « . En France, trois centres prescrivant de la méthadone _ l’hôpital Fernand-Widal, l’hôpital Saint-Anne et le centre Saint-Germain-Pierre- Nicole, à Paris _ peuvent prendre en charge cinquante-deux toxicomanes au total.

2. L’accès à un matériel stérile. _ Ainsi que le souligne le rapport du CNS,  » le partage du matériel d’injection est probablement la principale cause de la progression de l’épidémie de sida parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse « . La mise en vente libre des seringues a, de ce point de vue, été une mesure très efficace qui ne peut cependant suffire. Le CNS estime que devraient être mis en place très vite de nombreux programmes d’échange de seringues, toutes les études ayant montré qu’ils constituent un facteur déterminant de réduction des risques. En Grande-Bretagne, cent vingt lieux d’échanges ont été créés entre 1989 et 1990. En France, trois seulement (à Paris, sous la responsabilité de Médecins du Monde, en Seine-Saint-Denis et à Marseille). Les enquêtes d’évaluation faites en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas ont montré que ces programmes d’échange de seringues n’incitent pas à la consommation de drogues, qu’ils entraînent une réduction du partage des seringues et qu’ils permettent d’éviter l’abandon du matériel usagé dans les lieux publics.

3. Les lieux d’entraide et d’action communautaire. _ De tels lieux permettent d’atteindre les usagers de drogues les plus démunis et d’établir avec eux des réseaux d’entraide et de soin. En revanche, estime le CNS, les lieux de recours médical les plus fréquentés par les toxicomanes (services d’urgence des hôpitaux, services hospitaliers, infirmeries des établissements pénitentiaires et pharmacies _  » sont mal adaptés aux problèmes spécifiques posés par les toxicomanes contaminés « . Les pharmaciens en particulier, indique le CNS, devraient être incités à encourager la prévention et à diffuser l’information, par exemple distribuer avec chaque seringue vendue un préservatif et de l’eau de Javel. Quant au dispositif spécialisé de soins et de prévention de la toxicomanie mis en place dans les années 70, le CNS souligne qu’il ne compte aujourd’hui que six cents lits pour toute la France. Et qu’en 1991, plus de dix mille demandes n’ont pu être satisfaites…

 

A la suite de ce rapport, le Conseil national du sida a tenu à formuler un certain nombre d’observations et de recommandations. Il rappelle ainsi que l’assistance aux toxicomanes et la prévention du sida sont deux phénomènes  » qui doivent être traités ensemble  » ; et  » que la politique des pouvoirs publics en matière d’usage de drogues joue sur le double registre de la santé publique et de la répression de l’usage sans trafic (dit  » usage simple « ) considéré comme une forme de délinquance, sans définir de priorité entre ces deux registres « .  » La priorité des pouvoirs publics, poursuit le CNS, doit être la prévention et la protection de la santé publique et non la répression de l’usage simple de drogues.  » Le CNS estime absolument nécessaire de revoir dans ce sens et de coordonner les législations, réglementations et pratiques publiques dans ce domaine.  » Il est logique, ajoute-t-il, de ne pas s’opposer à la possession de seringues. (…) Comment en effet promouvoir sérieusement l’utilisation de matériel non contaminant quand le port de seringue vaut présomption de délit d’usage de drogue ?  » Quatre responsables du Patriarche et deux  » centres de cure  » fermés à Toulon et Nice. _ Quatre responsables régionaux de l’association Le Patriarche, à Colmar, Grenoble, Nice et Toulon, ont été mis en examen, pour recel de malfaiteur, mardi 21 septembre, par le juge marseillais Patrick Ardid. Trois d’entre eux ont été écroués, et les centres de cure du Patriarche, spécialisés dans l’accueil des toxicomanes, ont été fermés à Toulon et Nice. Le coup de filet est destiné à déterminer dans quelles conditions ces responsables ont accepté d’accueillir Eric Galliano, un toxicomane âgé de vingt-sept ans, suspecté d’une dizaine de braquages, depuis novembre 1992 jusqu’à son arrestation fin mai près de Grenoble.

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