Drogue: Kouchner lève le tabou sur la loi de 1970.

FAVEREAU ERIC

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Les Rencontres sur la toxicomanie ont demandé l’abrogation du texte pénalisant l’usage.

 

Surtout ne pas en parler. C’était le maître mot, au départ, des Rencontres nationales sur l’abus des drogues et la toxicomanie, qui se sont tenues ce week-end au ministère de la Santé. «Surtout éviter de se laisser enfermer dans le piège, entre partisans et opposants à l’abrogation de la loi de 1970», cette loi qui, entre autres, pénalise le simple usage de la drogue. Or, bien naturellement, ils en ont tous parlé. Et tous, unanimes, pour dénoncer le caractère archaïque de ce texte.

Ainsi, Roger Henrion, ancien président de la commission sur la toxicomanie: «La loi de 70 est, en France, devenue pire qu’un dogme. Tout change, le service militaire, l’immigration, le code de la nationalité, l’Europe. Tout, sauf la loi de 70.» Ou encore, Jean- Pierre Changeux, président du Comité national d’éthique: «On présente le toxicomane soit comme un malade, soit comme un délinquant. Mais la loi française oublie de le regarder d’abord comme un citoyen.» Enfin, sur les quinze ateliers de ces Rencontres qui avaient pour charge d’établir des recommandations pour le ministre en matière de prise en charge des toxicomanes, quatorze ont souhaité, ou presque, «la suppression de la loi de 1970, qui se trouve en contradiction totale avec les objectifs et la pratique de la politique de réduction des risques et d’accès aux soins». Application négative. Enfin, Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé, qui présidait ces Rencontres, a ironisé sur ce «texte impérial». En affirmant: «L’application de la loi de 70 est négative, elle produit le maintien du toxicomane dans sa toxicomanie. Et sa non-application est encore pire.» Mais le ministre a poursuivi: «La réforme de la loi de 70, je le répète, n’est ni un préalable ni un tabou. Nous ne sommes pas seuls en France. Il y a des gens qui ne partagent pas notre avis. Ne faisons pas les malins. Le courage politique, c’est de ne pas échouer. Et vous nous avez montré qu’en dépit de cette loi, vous pouvez travailler, avancer, et améliorer la prise en charge des travailler, avancer, et améliorer la prise en charge des toxicomanes.»

Révolution culturelle. Etonnant renversement de situation! Car nul ne s’est ouvertement offusqué de la prudence du ministre (1). Comme si le vent du pragmatisme emportait tout sur son passage, entraînant un changement de ton spectaculaire. Ainsi, le «milieu» de la toxicomanie s’est-il montré uni sur cette ligne d’action dépassionnée; hier déchirés, divisés en chapelles hermétiques, entre ceux qui prônaient la réduction des risques et ceux qui n’envisageaient que le sevrage, tous ont travaillé ensemble pour ces Rencontres, dans un même lieu. La sociologue Anne Coppel, directrice d’un centre de méthadone et figure emblématique de la politique de réduction des risques, l’a répété: «Cette volonté de collaboration de tous les acteurs du champ social de la toxicomanie, c’est colossal. C’est le fait marquant de ces journées. Hier, on se tapait tous dessus, on s’injuriait entre pour et contre la réduction des risques. Et là, on a une pratique à échanger, et non pas une idéologie sur laquelle s’affronter.» Même son de cloche chez le docteur Jean Carpentier, médecin généraliste, hier ouvertement rebelle. Ou encore chez le docteur William Lowenstein, qui dirige un centre de méthadone: «On a réussi à imposer la politique de réduction des risques parce que l’on a été modeste. C’est cette modestie qui nous a permis d’avancer. Continuons, aujourd’hui encore, avec cette stratégie de la modestie.» Et le nouveau directeur général de la santé, le professeur Joël Ménard, de lui donner raison, en égrenant quelques chiffres: «La mortalité par surdose a diminué de 20% par an depuis deux ans. En 1996, plus de 15 millions de seringues neuves ont été mises à disposition.» Recommandations. Il n’empêche, le ciel n’est pas bleu. Et ces retrouvailles n’ont pas fait disparaître les mille et une faiblesses du système actuel. Pendant ces deux jours de travail, les 15 ateliers en ont dressé patiemment la liste. Par exemple, en ce qui concerne l’accès aux soins, les participants ont pu noter cette bizarrerie typiquement française: «Ce sont les médecins de ville et les associations qui ont travaillé sur l’accès aux soins, mais l’hôpital reste en retard, en particulier dans le domaine des urgences.» D’autres ont mis en avant la place trop importante prise par le Subutex par rapport à la méthadone dans les produits de substitution. Un atelier a insisté sur les failles du système social, comme l’exclusion des moins de 25 ans du dispositif du RMI. Un autre groupe a détaillé des mesures pratiques, en particulier pendant la garde à vue et l’incarcération du toxicomane, pour «assurer systématiquement l’accès aux soins, la continuité des prises en charge et la réduction des risques». Ou encore «ne pas oublier la prise en charge des familles», lieu de toutes les difficultés. Voire «faire du maire l’animateur central des actions à entreprendre».

Usage thérapeutique. «Ces recommandations vont être très largement diffusées», a affirmé Bernard Kouchner, lors de la séance de conclusion. D’ores et déjà, le ministre a annoncé plusieurs mesures: d’abord, la nomination du professeur Bernard Rocques, professeur de pharmacologie, «pour une mission sur l’étude de la dangerosité des toxiques légaux et illégaux». L’idée étant d’en finir «avec les discours stupides» sur le cannabis. De plus, le Comité national d’éthique sera saisi sur la question de l’inégalité dans l’accès aux soins. Enfin, revenant sur la question d’usage à des fins thérapeutiques de produits aujourd’hui considérés comme des stupéfiants illégaux, «comme l’héroïne ou le cannabis», le ministre n’a pas changé d’avis. Il a déclaré qu’il avait saisi l’Agence du médicament. «Plusieurs équipes médicales m’en ont fait la demande, et très vite des décisions seront prises.»

«Avançons donc sur le terrain de la santé publique, lâchait, samedi soir, Anne Coppel. C’est ainsi que l’on se donne les meilleurs moyens pour changer la loi de 70. Les lois, on le sait, c’est toujours ce qui change en dernier.»

(1) A l’exception d’Act Up, qui se montre ouvertement critique.

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